La Guerre Tombée du CielAuvergne-Rhône-Alpes seconde Guerre mondiale

2 août 1944, le crash du Patsy Jack

Début août 1944 en France. Les combats se poursuivent en Normandie et le Débarquement en Provence est imminent. Dans notre région, les bombardiers alliés œuvrent jour et nuit à la destruction stratégique des voies de communication, des infrastructures ferroviaires et des réserves de carburant.
Le 2 août, plusieurs groupes de bombardiers décollent d’Italie du sud en direction du sud de la France. Les cibles du jour sont le dépôt d’essence du Pouzin, les sites industriels de Portes-lès-Valence, dont la fabrique de torpilles, et la raffinerie du Pontet près d’Avignon. 

Le raid vers le Pontet (Vaucluse)
À 9h00, des quadrimoteurs B-24H Liberator, appartenant au 49th Bomb Wing /15ème Air Force, décollent du terrain de Castellucio, dans le sud de l’Italie. À 9h50, le 451st Bombardment Group (BG) rejoint au-dessus de la base de Bovino les appareils du 484th et 461st BG. Après regroupement, 24 bombardiers escortés par des chasseurs P-51 du 31st Fighter Group et prennent la direction du sud de la France. La visibilité est excellente et la formation progresse rapidement : après avoir survolé le nord de la Corse et la Méditerranée, puis Roquebrune-sur-Argens dans le département du Var, et une partie du territoire des Alpes-de-Haute-Provence, les B-24 atteignent le Vaucluse. Soudain, alors que la cible du Pontet est proche, des canons anti-aériens ennemis se mettent en action. Deux avions sont touchés dont l’un sévèrement : il s’agit du B-24H « Patsy Jack » Sn 42-64445, 451st BG / 727th BS. À son bord, dix membres d’équipage s’activent pour maintenir l’avion en vol et suivre coûte que coûte la formation qui continue de progresser pour mener à bien sa mission. Kendall Young, à bord de l’autre appareil touché, est le dernier à apercevoir le Patsy jack encore en vol. Au-dessus de la cible, il le voit en grande difficulté alors que le feu a gagné un moteur. L’équipage lutte, parvient à maîtriser l’incendie et à suivre la formation pendant un moment, mais Young le perd de vue au-dessus du Golfe de Saint-Tropez. Il contactera toutes les bases de Corse pour savoir si le Patsy Jack aura réussi à s’en sortir, mais en vain.

Photographies d'équipages prises en 1944 devant le B-24H "Patsy Jack" 451st BG / 727th BS. L'appareil, mis en service le 8 décembre 1943, a alors 32 missions à son actif et a déjà abattu 3 chasseurs.

Photographie du "Patsy Jack" en vol. On distingue à l'avant que l'avion a effectué 60 missions et abattu 4 chasseurs. 

B-24H « Patsy Jack » Sn 42-64445, du 451st BG / 727th BS. Cet appareil s'écrase le 2 août 1944 en début d'après-midi hameau des Setoux sur le territoire de la commune de Riotord (Haute-Loire). Il aura effectué 65 missions de guerre. 

Le « Patsy Jack » en perdition
Dès la fin du bombardement, et alors que l’équipage essaie de résoudre les problèmes mécaniques inhérents aux dégâts causés par la Flak, le pilote 2nd Lt Georges Cappleman prend la route du sud mais rien à faire, il perd de l’altitude ! Il réalise qu’il ne pourra pas rentrer et que l’équipage va devoir évacuer en vol. Afin d’éviter de s’écraser dans un secteur habité et de mettre en danger son équipage qui, une fois parachuté, se trouvera en pleine zone occupée, il effectue un demi-tour à la hauteur du Golfe de Saint-Tropez - c'est à ce moment que Young le perd de vue - et prend la direction du Massif Central. Il ordonne bientôt à ses hommes d’évacuer : tandis qu’il cherche à bloquer les commandes pour lui laisser le temps de sauter, Sgt Winston Dandrew, photographe et mitrailleur, 2nd Lt Warren Paulsell, son co-pilote, 1st Lt Robert Gillies, navigateur et bombardier, Sgt Theodore Zukosky, radio, Sgt Thomas Daw, mitrailleur avant, Sgt Winston Meunier, mitrailleur, Sgt James Lewis, mitrailleur supérieur et mécanicien, Sgt H. Lizotte, mitrailleur central, et Sgt Harold Mehl, mitrailleur de queue évacuent. Il est passé 13h30 lorsque, aux environs de Vanosc (Ardèche), le pilote dernier à bord se lance hors de l'appareil. L’avion vidé de ses occupants continue de perdre de l’altitude et peu après se crashe à proximité du hameau des Setoux, sur le territoire de la commune de Riotord (Haute-Loire). 

L’équipage recueilli par le Résistance
Le parachute du Sgt Dandrew, le premier à avoir sauté, ne s’est pas ouvert et le corps du malheureux s’est écrasé au sol hameau de la Celle à Saint-Julien-Vorance (Ardèche). À quelques kilomètres à l’ouest de là, les autres membres de l’équipage parviennent au sol à Saint-Julien-Molhesabate (Haute-Loire). Le parachute du radio Zukosky s’est accroché au sommet d’un sapin et a été rudement secoué, mais il n’est pas blessé. 
Ils sont d’abord recueillis par la famille Delolme, puis pris en charge par la Résistance et hébergé dans le village de Vanosc, berceau de l’industrie textile en Ardèche. Ils sont logés en compagnie de treize parachutistes américains des forces spéciales dans les bâtiments de l’École de garçons : il s’agit du commando « Betsy » de l’Office of Strategic Services (OSS) avec à sa tête le Lt Boudreau, parachuté le 25 juillet à Devesset (Ardèche) par le Halifax JP 242 du Sqn 624 de la RAF qui avait décollé de Blida (Algérie) pour une mission de renseignement et de sabotage des voies de communication. 

        Sgt Winston Fleming Dandrew          Photographie de B-24 en vol; c'est le même type de cliché que le Sgt Dandrew était chargé de prendre

Equipage du B-24 "Patsy Jack" cachés dans le village de Vanosc, en tenue de civils

Les derniers jours de guerre à Vanosc
Ils vont vivre ensemble quelques jours difficiles avant la Libération, aux côtés de la population locale. Le 3 août, comme de nombreux villageois, tous assistent à l’inhumation du Sgt Dandrew au cimetière de Vanosc. Son corps sera par la suite transféré à Draguignan avant d’être rapatrié aux États-Unis après-guerre.
Le 10 août des villages de la Drôme, de l’Isère, de Haute-Loire et d’Ardèche, considérés comme des foyers de résistance par les Allemands, sont ciblés par l’aviation. Un Junkers Ju 88 du II./KG 26 largue des containers de bombes anti-personnelles au-dessus de Vanosc. Trois civils sont mortellement touchés et 25 sont blessés, ainsi que 5 membres du commando Betsy, l’un d’entre eux grièvement. Trois jours après Sgt Camille Barnabé décède à l’Hôpital de Saint-Agrève (Ardèche). Le Débarquement en Provence le 15 août apporte beaucoup d’espoir, un nombre considérable d’appareils alliés sillonnent le ciel du sud-est de la France et laissent entrevoir la future défaite de l’armée d’occupation. Mais les pertes sont nombreuses. 
Le 18 août, le Lt William Ross Jr Hornsby aux commandes de son P-51, 111th Tactical Reconnaissance Squadron, est touché par la Flak et s’écrase à Saint-Martin-d’Ardèche après avoir participé au mitraillage de l’aérodrome de Valence-la-Trésorerie. Il en sort indemne et orienté par la résistance locale, il rejoint les hommes de Vanosc.
Le 20 août en fin de matinée, l'avion Gruman F6F-5 Hellcat n°58109 codé 1, unité de l’Aéronavale VF-74, parti du porte-avion « Kasaan Bay » stationné en Méditerranée, est en mission de straffing rive droite du Rhône avec sept autres appareils (voir « La Guerre tombée du ciel, Auvergne-Rhône-Alpes, tome 2 : 1944-1945 » p208 et suiv.). Près de Saint-Bonnet-le-Froid (Haute-Loire), à une vingtaine de kilomètres au sud-ouest de Vanosc, quatre F6F-5 attaquent un side-car circulant sur une route à l’extérieur du village. Le Hellcat codé 1, piloté par Lt Cmdr Harry Brinkley Bass, commandant du VF-74, volant très bas est pris pour cible depuis le sol par des tirs provenant d’armes légères d’infanterie. Le pilote est probablement touché et son appareil s’écrase. Son corps est emmené à Vanosc où il sera inhumé, porté par les aviateurs du « Patsy Jack » avec, pour gardes d’honneur, les parachutistes en armes pour lui rendre hommage.2nd Lt Cappleman et le reste de son équipage contribueront à la Libération du Puy et d’Annonay avec les hommes du commando « Betsy ». Peu après, le 3 septembre, les rescapés du B-24 quittent Vanosc en direction de Marseille puis ils rejoignent Naples.

Commémorations
Le village de Vanosc a longtemps gardé en mémoire le souvenir des événements de l’été 1944 et de ces hommes qui avaient contribué à la libération de leur village. Le 6 août 1995, quelques membres d’équipage et leurs familles reviennent en France à l’occasion de l’inauguration de deux stèles : l’une sur les lieux où les hommes atterrirent à proximité du hameau du Besset et l’autre au hameau des Setoux près du lieu du crash. L'association Les Amis des Setoux propose encore aujourd'hui une randonnée baptisée "Circuit des deux stèles", informations disponibles sur leur site https://www.amisdessetoux.com/circuit-des-deux-st%C3%A8les/. 
 Nadège & JF Kauffmann

Sources et bibliographie
Archives du 451st BG, rapport de vol
MACR 7208
Enquête de Paul Mathevet
Gazette du 451st BG automne 1995, "Cappleman crew odyssey"
Michaël D. Hill & John R. Beitling « B24 Liberators on the 15th Air Force / 49th Bomb Wing in Word War II », Ed A. Schiffer Military History Book. 2006
http://patrick.ertel.pagesperso-orange.fr/id8.htm
http://patrick.ertel.pagesperso-orange.fr/id9.htm