La Guerre Tombée du CielAuvergne-Rhône-Alpes seconde Guerre mondiale

Une certaine idée des conventions

Il y a quelques temps nous vous narrions le résultat d’une enquête sur un Dewoitine 520 aux couleurs allemandes accidenté aux alentours de Tarare (Rhône). Ce type d’appareil originellement prévu pour l’Armée de l’Air n’a pas été le seul utilisé par l’occupant. La plupart des chasseurs monoplaces ont servi dans des écoles de chasse et le plus souvent en France même. Parmi eux se trouvèrent de nombreux Bloch 151, 152 et 155.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Jeudi 4 mai 1944 /massif du Vercors

Ces montagnes des Préalpes, entre Isère et Drôme, sont contrôlées dans leur plus grande partie par le maquis. Les discrètes activités clandestines n’inquiètent pas encore outre mesure les troupes allemandes qui se contentent d’une surveillance légère à base de vols de reconnaissance ponctuée par quelques incursions terrestres sur les contreforts et les cols (février, mars et avril 44). Les résistants attendent le moment propice au soulèvement, poursuivent leur entrainement et achèvent d’organiser les défenses.

 

Cette journée s’annonce calme ; la température témoigne de l’avancée du printemps (20°) et une forte brume recouvre les hauts plateaux ce qui promet aux maquisards une absence de surveillance aérienne. Les activités des différents camps pourront se dérouler en toute quiétude.

Pourtant, en milieu de matinée, un vrombissement de moteur d’avion résonne ce qui ne manque pas d’alerter ceux qui l’entendent et en particulier les membres d’une patrouille formée par Adrien Yutz, Charly Deiller et « Bouillet » du camp C1 situé au nord-est de Vassieux-en-Vercors. Le ronronnement s’estompe subitement remplacé par une déflagration assourdie provenant des pentes de la montagne de Larps. Peu de temps après les trois hommes trouvent le lieu du crash au lieu dit « la combe Jaye ». L’épave est disloquée et quelques incendies épars sont sur le point de s’éteindre. Le choc et l’explosion ont été fatals au pilote dont le corps est retrouvé parmi les débris. Aucun élément ne permet l’identification, seule la plaque au cou du décédé rompt l’anonymat ; on peut lire « A 6932 FL.A BATL 16 ». Une unique pièce de l’aéronef est remarquable : le système de radio de bord et de positionnement est de type RI 537 fabriqué par la S.A.D.I.R à Puteaux *. Il s’agit certainement d’un avion de fabrication française concluent les trois hommes.

Les maquisards, considérant la situation sous l’aspect des lois de la guerre, procèdent à l’inhumation. Une tombe est creusée, une croix fabriquée et gravée du code de la plaque d’identification. Puis, les honneurs militaires sont rendus au défunt : présentation des armes et minute de silence. Enfin, la patrouille retourne à sa base afin de raconter l’aventure aux camarades. Parmi ceux-ci, Joseph La Piccirella ** prend note des éléments de l’histoire et retourne à son quotidien.

L’été qui vient sera tragique pour les occupants de ces lieux et la sépulture tombe dans l’oubli après la Libération. La nature efface toute trace et durant près de trente années, les randonneurs qui passent la Combe Jaye ne se doutent aucunement de ce que recèle la terre qu’ils foulent. Pourtant un homme va se souvenir de cet accident et se mettre en quête de la restitution des restes du pilote aux autorités de son pays. Ainsi, monsieur La Piccirella, après quelques recherches, retrouve le lieu de l’inhumation le 18 novembre 1971. La dépouille peut alors être transférée au cimetière allemand de Dagneux et y repose désormais (carré 29, rang 9, tombe 288). L’identification a pu être réalisée grâce à la plaque dont l’inscription permet à coup sûr de nommer l’Unteroffizier Fritz Kreis, né à Rösnitz (Rozumice, sud-ouest Pologne, près de la frontière tchèque) le 14 août 1921.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Grâce à de tels renseignements il est possible de raconter le contexte et le déroulement des événements de ce jour.

 

Fritz Kreis au moment des faits appartient au 2./JagdlehrerGruppe basé à Orange-Caritat. Plus précisément cette escadrille est une des composantes du Jagdlehrerüberprüfungsgruppe ou « Groupe d’évaluation pour les instructeurs de chasse ». En pratique il s’agit d’un centre de remise à niveau des connaissances et des méthodes dans lequel séjournent les instructeurs provenant de la plupart des écoles de chasse de la Luftwaffe. L’école est dirigée par l’Hauptmann Ferdinand Vögl né en 1917. Ce pilote est un vétéran de toutes les campagnes de la Luftwaffe depuis 1939 au sein du JG 27 (France, bataille d’Angleterre, campagne d’Afrique du Nord). Blessé à deux reprises dans des accidents, il a été placé à la tête du Gruppe en raison de ses compétences et états de service. Il terminera la guerre crédité de 31 victoires ***.  

Outre quelques avions affectés au Stab (état-major), le reste des appareils est divisé entre le 1./JagdlehrerGruppe faisant office d’Ausbildungsstaffel (« escadrille de formation ») et le 2./JagdlehrerGruppe considéré comme un Einsatzstaffel ( « escadrille opérationnelle », dans les faits c’est une réserve pour la chasse du sud-est de la France). Les appareils sont disparates et se côtoient des Arado 66, des Messerschmitt 109 E et F, des Bücker 131, des Focke Wulf 44, des Heinkel 72, des Macchi 202, des Saiman 202, des Focke Wulf 190A, des Bloch 152 et 155 et même … un Hurricane britannique ****.

L’école est transférée dans le Vaucluse en décembre 1943 ; précédemment elle utilisait le terrain de Guyancourt dans la région parisienne. Son assignation dans le sud de la France a été choisie en raison du calme dont bénéficie cette zone. En effet, en 1943, nul combat ne vient perturber la formation et la météorologie locale permet de bénéficier de conditions de vol très souvent favorables. Ainsi des dizaines d’instructeurs viennent à Orange parfaire leurs techniques.

 

Mais le cours de la guerre ne tarde pas à rejoindre cette paisible région. Les incursions alliées s’accentuent sur le littoral méditerranéen et les raids pénètrent loin à l’intérieur des terres dès le début de l’année 1944. Le Jagdlehrerüberprüfungsgruppe est de plus en plus appelé en renfort du JG Süd dont les effectifs fondent et ne suffisent plus à contrer la menace. Seuls cinq Me 109F-4 et quatre FW 190 A-4 sont aptes à participer aux missions. Les combats se poursuivent sans apporter de victoire à l’escadre ; pire, le 29 avril deux pilotes périssent abattus par les chasseurs d’escorte d’un raid de la 15th AF sur Toulon. Ce sont l’Uffz. Willy Reißig (FW 194A-4, Wk 145537, code « 9 weiss ») et l’Uffz. Reinhard Wahl (Me 109F-4) de l’Ausbildungsstaffel (1.Staffel). Le lendemain l’état major de la Luftflotte 2 prend la décision de rapatrier l’école à Garz (ile d’Usedom, Poméranie).

Les départs débutent le 2 mai et s’échelonnent entre l’aube et le milieu de matinée. Ainsi le 4 mai c’est au tour de l’Unteroffizier Fritz Kreis de prendre les commandes d’un des trois Bloch 152 pour l’emmener en Allemagne. Les documents sur cette mission n’ont pas été retrouvés. Il est vraisemblable que le pilote ait quitté Caritat en début de matinée et se soit dirigé en direction du nord-est. Quoiqu’il en soit, sa route s’est terminée à 105 kilomètres de là, 20 minutes après son décollage … S’est-il perdu dans la brume ou un ennui technique est-il à l’origine du crash ? A ce jour rien ne permet de trancher. Une chose est sûre, Kreis n’a pas été victime d’un chasseur allié, en effet aucun vol n’a eu lieu dans cette zone ce jour-là.

Bien que de nombreuses zones d’ombres soient présentes dans cette histoire, il est important de contextualiser un événement qui pourrait paraître anodin et sans liaison avec le déroulement de la guerre. Ainsi, plus que victime d’un « banal » accident aérien, Fritz Kreis subit les conséquences de la perte de la maîtrise du ciel par la Luftwaffe, c’est ce qui l’oblige à partir ce matin du 4 mai 1944 : s’éloigner d’une zone devenue ligne d’un front dont l’espace aérien appartient désormais aux alliés.

Le comportement exemplaire des maquisards est à souligner. La propagande nazie, suivie par celle des autorités de Vichy, rendait coupable la Résistance de tous les méfaits en dépeignant ses membres comme des tueurs et voleurs sans foi ni loi. Si le respect des conventions avait été absent des préoccupations de la patrouille du camp C1, cette histoire n’aurait pu être racontée. Et que dire de l’attitude de Joseph La Piccirella qui, bien qu’ayant connu l’horreur de la répression sur les maquis, dissipa la rancœur pour se porter 30 ans après les faits à la recherche d’une sépulture afin que celui qui l’occupait puisse reposer parmi les siens …

 

 

* Le matériel RI 537 est en dotation sur tous les D520, MB 151/152, Curtiss H75 et Breguet 691/693 depuis 1939

** http://www.ledauphine.com/drome/2010/05/16/deces-de-joseph-la-picirella...-disparition-d-une-figure-de-la-resistance

*** Toutes acquises avant le 19 mai 1943

**** A l’origine l’unité en possédait deux lors de sa création à Orléans, mais un a été endommagé à l’atterrissage ; ces deux appareils avaient été capturés lors de l’invasion de la France en 1940