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Le Bf 109 F-4 : hagiographie mécanique et autres tribulations

L’habitude est source de routine et pour faire mentir l’adage, le temps d’un article, nous consacrons notre travail non pas au récit d’une aventure humaine mais à celle d’un aéronef.

L’espace que définit le thème de notre ouvrage est emprunté de 1939 à 1945 par des milliers d’avions de types les plus divers et nous sommes par défaut proches de penser qu’à peu près tout ce qui était français, allemand, britannique, américain et italien y déploya ses ailes.

Intéressons-nous particulièrement à un appareil dont la raison de la présence dans le sud de la France était dédiée à la formation plus qu’à l’action guerrière même s’il eut tout de même l’occasion d’y combattre : le Messerschmitt Bf 109F.

 

La campagne à l’ouest s’achève au matin du 25 juin 1940. Parmi les multiples succès dont l’armée allemande peut s’enorgueillir la suprématie du Bf 109E-3 et E-4 dans le domaine du combat aérien est indéniable. Cet appareil surclasse ses adversaires et seuls les Dewoitine 520 et Spitfire Mk I (rencontré au-dessus de Dunkerque) ont fait jeu égal[1].

Dans les bureaux d’études situés à Augsbourg, la firme Messerschmitt AG réfléchit depuis début 1940 à l’évolution du chasseur. C’est un projet mené autour de ce que l’on appellerait aujourd’hui un « retour d’expérience ». Les rapports de combats sont analysés et les commandants d’escadre appelés à faire part de leurs constatations et souhaits. La mauvaise surprise que représente le Spitfire devient le centre des préoccupations. Une réponse est urgemment attendue.

Le résultat aboutit à refonte presque complète :

 

  • La motorisation est désormais assurée par un Daimler-Benz 601 N de 1175 ch, d’une cylindrée de 34 litres et dotée d’un compresseur. Une plus grande puissance signifie de meilleures performances en vitesse de pointe et en montée. Par contre, le compresseur est désormais alimenté par une prise d’air décalée et proéminente sur la gauche du capot moteur[2],
  • Les saumons d’ailes s’arrondissent afin d’améliorer la portance et les performances à haute altitude,
  • La taille de la casserole d’hélice s’accroit. Son aérodynamisme est aussi repensé pour aboutir à une forme plus hémisphérique,
  • Les pales d’hélices s’allongent de 10 cm,
  • Les becs de bord d’attaque se raccourcissent,
  • Les radiateurs d’intrados s’affinent,
  • L’empennage est redessiné avec un gouvernail vertical de taille réduite. Le gouvernail de profondeur devient auto porteur[3],
  • La roulette de queue se rétracte après le décollage et diminue ainsi la trainée.
  • Son armement consiste en deux MG 17 sur la partie supérieure du capot et un canon MG FF/M de 15 mm dans le moyeu de l’hélice.

 

Le BF 109F, plus fin que ses prédécesseurs, inaugure la forme quasi définitive de l’appareil qui ne sera que peu modifiée au gré des multiples versions qui vont suivre.

Sa mise en production débute durant l’été 1940 alors que la Bataille d’Angleterre bat son plein. Les premiers exemplaires parviennent aux unités en Octobre[4]. Dès lors l’avantage technologique revient à la Luftwaffe. L’appareil va s’imposer dans le ciel d’Europe en version F-2 et en Afrique du Nord[5].

En juin 41 sort des chaines de production la version F-4 qui représente l’aboutissement du « Friedrich ». Désormais en pleine maturité, il se voit doté d’un DB 601 E de 1350 ch, d’un blindage accru[6], de réservoirs auto obturant plus fiables et d’un canon MG 151/20 de 20 mm qui remplace celui de 15 mm. En outre il peut être équipé de 4 bombes SC50JA de 50kg ou d’une seule SC250JA de 250 kg en position ventrale. Certains F-4 sont dotés d’un injecteur GM-1, mécanisme de surpuissance temporaire, et sont dénommés F-4/Z.

Le F-4 est le plus apprécié des F et par-dessus tout il bénéficie d’une aura particulière auprès des pilotes de la Luftwaffe dont beaucoup déclareront après-guerre qu’il fut le plus élégant, équilibré et performant de tous les 109.

 

Caractéristiques du Messerschmitt Bf 109F-4 :

 

Moteur

Daimler-Benz DB 601E en V inversé de 1 350 ch, 12 cylindres, refroidissement par eau, masse de 610 kg

Vitesse maximale

660 km/h à 6200m avec dispositif de surpuissance

605 km/h à 6000m en puissance normale

Vitesse ascensionnelle

Altitude de 3000 m atteinte en 2 ‘ 35 “

Altitude de 6000 m atteinte en 6 ‘ 06 “

Plafond

11800 m

Masse maximale au décollage

2,9 t

Envergure

9,97 m

Longueur

8,94 m

Hauteur

2,45 m

Autonomie

860 km ou 1h 10 ‘ de vol à 6000m en comptant 30 ‘ de combat aérien

Armement

Canon MG-151/20 (200 coups ; 750 coups/min)

+ deux MG 17 de 7,92 mm (1000 coups chacune ; 1150 coups/min)

 

Entre 2200 et 2300 Bf 109F sont construits. En juin 1942 le remplacement par la série G débute. Progressivement ils rejoignent les écoles et les unités de transformations opérationnelles. C’est l’histoire d’un de ces appareils qui retient notre attention.

 

Le Bf 109F-4/Z Wkr. 13351 sort des usines WNF[7] en début 1942. Il est affecté au 5./JG 77 alors engagé sur le front de l’est. En septembre cette unité est basée à Stary-Oskol[8]. Le 28 de ce mois l’appareil est détruit à 55% après un accident au décollage. Nul renseignement sur le sort du pilote mais sa monture est déclarée réparable.

Une fois sa convalescence terminée le 13351 part pour le sud-ouest de la France, à Mont-de-Marsan précisément où il rejoint le JGr. West[9] (Ergänzungs-Jagdgruppe West) au 1. Staffel. Désormais il devient un appareil dédié à la dernière phase de la formation des pilotes de chasse allemands. Les incidents sont nombreux dans ce genre d’unité ; la casse humaine et mécanique fait partie du quotidien. C’est d’ailleurs ce qui va se produire pour notre sujet le 23 mars 1943. Il est fait état d’une erreur de pilotage à l’atterrissage[10]qui l’endommage à 35% selon le rapport de la Luftwaffe. Une seconde fois « 13351 » se retrouve dans les ateliers de réparation.

Une nouvelle affectation l’envoie au 2./JGr. Süd. La fonction de ce groupe est aussi la formation mais le 2. Staffel sert d’Ergänzungstaffel[11] pour le JG 27. Dans les faits ce sont des pilotes aguerris qui viennent se perfectionner. Notre Bf 109F-4 porte désormais le n° 19 peint en rouge. Nous le trouvons principalement à Salon-de-Provence puisqu’il s’agit là de la base de son unité mais les vols quasi quotidiens l’amènent à emprunter les pistes des aérodromes du sud-est.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[1] Le D 520 reste sous motorisé mais affiche une manœuvrabilité supérieure à celle du BF 109.

[2] Pour les premiers modèles l’entrée d’air est carrée mais devient par la suite ronde.

[3] Les haubans supportant le plan de profondeur disparaissent et laissent place à une poutre cantilever.

[4] Les premiers exemplaires sont livrés au Stab/JG 51 (Saint-Inglevert, Pas-de-Calais) le 6 octobre 1940 et Werner Mölders est le premier à mener son F-1 en mission le 25 du même mois.

[5] Bf 109F-2 Tropicalisé avec un énorme filtre sur l’entrée d’air du compresseur.

[6] Surtout pour la tête du pilote.

[7] Wiener Neustädter Flugzeugwerke située dans la ville éponyme.

[8] 150 km à l’est de Koursk.

[9] Groupe de transformation opérationnelle.

[10] Terrain de Mont-de-Marsan, pilote inconnu.

[11] Entrainement et réserve.

 

Samedi 19 juin 1943 / terrain de Salon-de-Provence – L’Uffz. Fritz Roth s’envole avec le « Rote 19 » pour un vol d’entrainement qui comme tant d’autres rythme les journées de la base. Le temps est estival, de rares nuages s’étalent à haute altitude dans un ciel majoritairement bleu. Au sol la recherche d’ombre devient une activité prisée en raison des 32° affichés par le thermomètre. Peu maudissent l’affectation dans une unité basée en Provence : les incursions ennemies sont rarissimes voire inexistantes, le climat est propice aux conditions de vol idéales et la région se prête aux excursions et au farniente.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le vol de Roth se déroule normalement jusqu’au moment où le pilote signale un problème technique. Peu après l’appareil percute le sol à quelques kilomètres au nord-est de Salon, tuant son pilote. Cette fois-ci il n’est plus question de réparation, la destruction est totale. L’enquête diligentée conclura de manière laconique à un accident provoqué par une rupture mécanique ….

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Nous ne savons presque rien de l’Uffz. Fritz Roth[1]. Mais le doute subsiste sur les causes de son décès. Il ne s’agit pas d’une erreur de pilotage mais d’un problème technique. Les dommages reçus et les réparations subies par le 13351 sont-ils liés au problème évoqué le 19 juin 1943 ? Toute tentative de réponse relève de la pure spéculation dans l’état actuel de nos connaissances.

 

Voici donc la courte histoire d’un appareil que nous avons pu suivre au gré des traces qu’il a laissé dans les archives. Mais d’autres Bf 109F appartenant au JGr. Süd n’ont pas été utilisés uniquement pour l’entrainement. De décembre 1943 à Juin 44[2] cette unité se charge de la défense des cieux méridionaux face aux incursions de plus en plus nombreuses des forces aériennes alliées. Les F-4 mèneront au-dessus de la Provence et du littoral méditerranéen leurs derniers combats de la guerre sous les couleurs de la Luftwaffe[3].

 

 

[1] Sa tombe se trouve au cimetière de Dagneux (69)

[2] En début juin 44 le JGr. Süd devient pour partie le JGr. 200 équipé de Bf 109G-6.

[3] Des Bf 109F-4 tombent encore suite à des combats aériens au-dessus de l’Allemagne au début 1945 mais il ne s’agit en rien d’un usage massif de ce type d’appareil.

Le « 13351 » à Marseille-Marignane en 1943 (origine non précisée).La partie gauche du capot moteur est relevée et offre une vue inhabituelle del’entrée d’air du compresseur.

Pilotes du JGr. Süd en 1943. La Provence offre d’indéniables intérêts lors des moments de repos (Collection Kauffmann)

Le Bf 109F-4/Z,  Wkr. 13351, « Rote 19 » du 2./JGr. Süd en juin 1943