La Guerre Tombée du CielAuvergne-Rhône-Alpes seconde Guerre mondiale

Georges Libert, pilote, pionnier et résistant

Georges Léon Libert est né le 17 octobre 1909 à Andelot (Haute-Marne). 
Pilote militaire puis pionnier de l’aviation civile dans les années 1930, agent de renseignement dès 1941 pour le compte des services secrets créés par le général de Gaulle, il rejoint ensuite Londres et intègre un squadron anglais « Special Duties » pour venir en aide à la Résistance française.

Georges Libert en 1937

Le pilote militaire
Après avoir obtenu son baccalauréat, Georges Libert est contraint de passer près d’un an dans un sanatorium pour soigner un début de tuberculose. Guéri en 1929 il est appelé sur la base aérienne d'Istres pour effectuer son service militaire. Attiré par les airs, fasciné par les exploits aéronautiques des années 1910 et 1920 et les progrès formidables de l’aviation, il est candidat au brevet de pilotage malgré l’opposition de sa famille et l’obtient grâce à une bourse. Désormais, il vole sur Breguet XIV, un biplan utilisé durant la Grande Guerre, puis sur un bombardier léger et appareil de reconnaissance, le Breguet XIX, à Dijon. Par la suite il se spécialise : il effectue un stage de Vol Sans Visibilité (VSV) avant d’être affecté au 1er Groupe d'Aviation d'Afrique qui a pour mission l'exploration du Sahara et le balisage des futures lignes postales dans cette région. 
En 1933 - 1934, âgé de 24 ans, le sergent Libert participe à un raid en Afrique baptisé « Croisière Noire » et commandé par Joseph Vuillemin, as de la Première Guerre mondiale et pionnier de l’aviation. C’est ainsi qu’une escadre aérienne, après cinq mois de préparation et d’entraînement sur la base d’Istres, composée de 22 officiers et 22 sous-officiers désignés par le ministre de l’Air, effectue 17.400 kilomètres à bord de monomoteurs Potez 25 TOE (Théâtre Opération Extérieure, modifiés) en cent trente heures de vol. 

Ci-dessus: les Potez 25 TOE de la Croisière Noire, ornés de leur emblème, la cocotte et alignés sur la base d'Istres avant le départ, le 8 novembre 1933. L'escadre aérienne du Général Vuillemin est formée de trois groupes de Potez: l'un à la cocotte bleue, l'autre à la cocotte blanche et le dernier à la cocotte rouge.

 

 

Ci-contre à droite: plan de vol de la Croisière Noire aérienne, partie d'Istres le 8 novembre 1933, et rentrée au Bourget le 15 janvier 1934, après un périple au-dessus de l'Espagne, du Maroc, de l'Algérie, de l'Afrique Occidentale Française et de l'Afrique Equatoriale Française.

Un pionnier de l’aviation civile
En mai 1935 Georges Libert démissionne de l'Armée pour rejoindre comme pilote de ligne la Compagnie aérienne Air Bleu, dont l’objectif est de livrer le courrier en moins de vingt-quatre heures sur le territoire métropolitain. L’ancien pilote militaire est sollicité pour intégrer le service de transport de nuit et assurer les atterrissages. En 1937 toujours attiré par les exploits aériens, et alors qu'il s'est retrouvé sans travail à la suite des déboires économiques d'Air Bleu, il tente de battre le record de vitesse d'André Japy. Il y parvient en réalisant, le 25 février, le trajet Paris-Hanoï soit 10 000 kilomètres en 44 heures à plus de 225 km/h de vitesse commerciale. Il faisait équipe avec le radio Gilbert Denis à bord d’un avion de tourisme, le Caudron Simoun. Cette année-là également il se marie, le 30 décembre 1937, avec une certaine Marcelle Béchon. Le 10 mai 1939, au sein de la nouvelle Compagnie Air Bleu renflouée, Georges Libert inaugure un service postal de nuit baptisé « Postale de Nuit » sur la ligne Pau - Le Bourget, aux commandes d'un Caudron C.440 Goéland, appareil bimoteur de transport.

Au centre, Georges Libert et à gauche, le radio Gilbert Denis en 1937 lors de leur raid Paris-Hanoï

De retour dans l’Armée de l’Air
Mais la guerre éclate et le 2 septembre 1939 les vols commerciaux sont interdits. Air Bleu est réquisitionné par l’armée. Georges Libert de retour dans l’armée est affecté aux liaisons régulières des longs courriers de l’Armée de l’Air entre Paris et Londres, au profit des États-Majors de France et de Grande Bretagne. Puis il est envoyé à la base aérienne de Châteauroux-Déols comme pilote réceptionnaire des chasseurs Bloch MB.152. Une patrouille de chasse civile est mise en place afin de protéger notamment l’usine aéronautique Bloch présente sur cet aérodrome. Au début du mois de mai 1940, il aurait participé à quelques missions avec cette patrouille* avant d’être affecté à Bordeaux, où il est désormais chargé de la réception de Bloch MB.174, avions de reconnaissance à très longue distance.

*NBP : en 1963, lors d’une interview pour la revue Icare, Georges Libert témoigne avoir abattu un Heinkel He 111 le 10 mai 1940, au début de l’offensive allemande, avec deux autres aviateurs de la patrouille.

Le pilote résistant, en France puis en territoire allié
En juillet 1940 il est nommé chef-pilote de la Section Civile des Liaisons Aériennes Métropolitaines (SCLAM) et chargé d'assurer le transport des membres de l'administration et du gouvernement de Vichy. Très rapidement, il va utiliser ses fonctions pour transmettre des renseignements à la Résistance. Le 1er octobre 1941 Georges Libert alias Berthier signe un engagement clandestin avec la Résistance et devient un agent de renseignement des services secrets français créés par le Général de Gaulle, le Bureau Central de Renseignements et d’Action (BCRA). Dès le 11 novembre 1942 et l’invasion de la zone sud, les Allemands sont à Vichy.

En juillet 1943 le BCRA craint une arrestation et le fait évacuer clandestinement par avion vers Londres. L’opération « Buckler » se déroule la nuit du 24 au 25 juillet depuis le terrain Figue situé près de Saint-Vulbas (Ain). Aux commandes du bimoteur Lockheed Hudson N7221, appareil utilisé depuis peu pour se poser en territoire occupé, des hommes expérimentés du 161 squadron : le pilote et squadron leader Verity, le co-pilote squadron leader Livry-Level (un Français) et le sergent Shine. Au sol, l’équipe de réception de Paul Rivière, responsable du Service Atterrissage Parachutage (SAP) de la région. Georges Libert croise notamment, sans le savoir, Emmanuel d’Astier de la Vigerie, fondateur du mouvement Libération-Sud qui, en provenance de Londres, est porteur du manuscrit original du Chant des Partisans. Sept passagers embarquent cette nuit-là avec le pilote Libert et, après une escale à Blida (Algérie), ils sont déposés à la base de la Royal Air Force (RAF) de Tangmere le 27 juillet au petit matin. 

Profil réalisé par Thierry Vallet pour "La Guerre tombée du Ciel tome I"

Lockheed Hudson Mk III MA-M serial number N7250, du 161 squadron. C’est dans cet appareil que fut ramené clandestinement le Général de Lattre de Tassigny depuis Manziat (Ain) vers l’Angleterre, le 16 octobre 1943. 

C'est dans un avion similaire, Hudson N7221 de la même unité, que Georges Libert a été emmené en Angleterre en juillet 1943 depuis Saint-Vulbas (Ain). Cette commune est située dans la Plaine de l'Ain, où de nombreux pick-up seront effectués entre 1942 et 1944 par les unités spéciales anglaises, sur monomoteur Lysander ou sur Bimoteur Hudson.

Peu après Georges Libert est finalement affecté à l’armée de l’Air anglaise, aux missions spéciales de nuit à bord du monomoteur Westland Lysander, avion de prédilection des opérations de récupération et de dépose d’agents. Il aura fallu l’intervention de De Gaulle auprès de Churchill afin que des pilotes français soient admis dans le cadre de ces « special duties » (opérations spéciales). Ce ne sera pas au sein du fameux 161 squadron basé en Angleterre mais parmi les pilotes du 148 squadron basé à Brindisi (Italie), qui œuvre dans tous les pays méditerranéens. En novembre 1943 Georges Libert part en même temps qu’un autre pilote français, Bernard Cordier, suivre l’entraînement des écoles de la RAF. Les Anglais rechignant encore à leur intégration dans une unité opérationnelle britannique, une autre épreuve les attend ensuite : il leur faudra trouver eux-mêmes leurs appareils ! Qu’à cela ne tienne, ils en débusquent deux en Syrie qui ont fait la campagne du Fezzan avec le Général Leclerc et sont sur le point d’être réformés. En mars 1944, les deux Français se rendent sur place où ils trouvent les deux appareils partiellement retapés. Ils les convoient à Alger où les entoilages sont refaits et l’échelle extérieure installée. Arrivés à Brindisi, des réservoirs supplémentaires sont posés sous le fuselage et ils sont prêts à l’emploi.En avril 1944, Georges Libert, ainsi que Bernard Cordier, est enfin affecté au 148 sq. et effectue huit missions spéciales dont deux en région lyonnaise. L’une d’entre elle a bien failli tourner au vinaigre… Dans la nuit du 11 au 12 juillet, Georges Libert et Bernard Cordier - devenus Flying Lieutenants - sont à nouveau en vol chacun à bord de leur Lysander. Ils sont en mission en doublé pour l’opération « Thicket 2 »*, et doivent se poser sur le terrain Figue qu’ils connaissent déjà pour l’avoir foulé près d’un an auparavant. Partis de la base de Borgo près de Bastia, où est maintenant basé le 148 sq., ils arrivent sans encombre en territoire andinois mais là, les ennuis commencent. Personne sur place n’a entendu les messages convenus qui auraient dû être diffusés à la BBC : l’équipe de Paul Rivière n’est donc pas présente au sol. Le fermier du coin nommé Barbachou, connu des résistants, improvise un comité de réception avec des membres de sa famille. Ainsi, le F/Lt Libert se pose le premier et trois passagers descendent rapidement de l’appareil. Mais tandis que Cordier se pose à son tour, le Lysander Mk III A de Libert reste prisonnier de la boue et il lui est impossible de décoller à nouveau. Les deux hommes décident de brûler l’appareil et n’ayant aucun agent ou personnalité à remmener, il leur est possible d’embarquer tous les deux à bord du Lysander de Cordier et de retourner en Corse. 
* la même mission avait été tentée la nuit précédente par ces deux pilotes et leurs passagers mais personne n’était là, aucune lampe au sol pour leur indiquer comment atterrir. 

Profil réalisé par Thierry Vallet pour "La Guerre tombée du Ciel tome I"

Westland Lysander Mk III A n° V9597 immatriculé MA-V du 161 Squadron piloté par William Guy Lockhart. Pour les opérations spéciales cet appareil est peint en noir mat. Il est porteur d’un réservoir externe d’environ 650 litres et d’une échelle fixée sur le côté gauche du cockpit afin d’en faciliter l’accès aux agents transportés.

C'est le même type d'appareil que pilotait Georges Libert pour le 148 sq.

Après la guerre
Démobilisé en 1945 il entre à Air France où il fait une carrière prestigieuse de 1945 à 1970. Il est aux commandes d’un Douglas DC-4 entre Dakar et Récif lors de la réouverture de la ligne de l'Atlantique Sud en juin 1946. Puis il pilotera des appareils Lockheed Constellation. En 1947, Georges Libert est nommé Chef du Personnel Navigant d'Air France, puis responsable de la mise en service des longs courriers. En 1955 il se rend en Grande-Bretagne pour se familiariser avec le nouveau quadriréacteur De Havilland Comet, premier avion de ligne civil à réaction. En 1959 il est affecté au bureau de New-York pour réceptionner des quadriréacteurs Boeing 707, mis en service à Air France à partir du 31 janvier 1960. De retour en France il se consacre pendant dix ans au réseau Long Courrier d'Air France comme commandant de bord sur Boeing 707.
Quand il termine sa carrière de pilote de ligne, le 1er janvier 1970, Georges Libert obtient sa licence de moniteur et exerce à l'aéroclub de Dreux dont il sera longtemps président. Il occupe également la fonction de vice-président de l'Aéroclub de France pendant sept ans, vice-président pour la France de la Fédération Aéronautique Internationale pendant trois ans, membre du conseil d'administration des Ailes Brisées et surtout Président de l’association les Vieilles Tiges de 1982 à 1991. Par ailleurs, il continuera de piloter son Robin « Sicile », jusqu’à l’âge de 87 ans et en ayant atteint le cumul plus qu’honorable de 25 300 heures de vol!
Titulaire de nombreuses décorations : Médaille Coloniale en 1933, Médaille de la Résistance en 1944, Croix de Guerre avec palme en 1945, Médaille de l'Aéronautique en 1960, Commandeur de l'Ordre National du Mérite en 1982, Officier de la Légion d'Honneur en 1951, Commandeur en 1991.
Après une vie d'aviateur bien remplie, Georges Libert s'est éteint le 3 janvier 2002 à l'âge de 93 ans. L'aéro-club de Dreux (Eure-et-Loir) porte son nom.

Photographie réalisée  à Saint-Vulbas le 19 septembre 1992, lors de l'inauguration de la stèle en mémoire des Passeurs du Clair de Lune - en référence aux pilotes qui ne pouvaient effectuer des missions "pick-up" que les nuits où brillait la lune-.

De gauche à droite:

  • Hugh Verity, pilote anglais, ancien Squadron Leader du 161 sq.,
  • Georges Libert,
  • Paul Rivière, responsable de la Section Atterrissages Parachutages en région R1

Sources et bibliographie : 
Operation Records Book du 148 sq RAF
Le Figaro article 1er janvier 1938

Avimag 700, 15 février 1977
Archives Alexis Rivière (fils de Paul Rivière)

http://henri.eisenbeis.free.fr/bernard_cordier_pilote_trappiste.htm , biographie de Bernard Cordier par lui-même
https://espacesaerienslyon.pagesperso-orange.fr/vieilletige/libert.html = « Qui était Georges Libert ? » par Paul Mathevet 01/2013