La Guerre Tombée du CielAuvergne-Rhône-Alpes seconde Guerre mondiale

Juin 1944: deux crashes dans les Monts du Beaujolais

3 juin 1944, Propières (Rhône)

En cette matinée du samedi 3 juin 1944, un épais brouillard enveloppe Propières, petit village du Haut-Beaujolais situé au pied du Mont Saint-Rigaud, point culminant du Rhône. Dans cette partie de la Vallée de l’Azergues, aux confins du Rhône et à la limite de la Loire et de la Saône-et-Loire, la guerre semble bien loin pour les habitants de cette zone relativement isolée. Un événement va brutalement les ramener à la réalité.

Vue ancienne de Propières, carte postale début XXe siècle

Monsieur Fournier vaque à ses occupations lorsque tout à coup vers 9h30, il entend un vrombissement puis des bruits explosions. Il pense immédiatement à un avion en difficulté qui, volant à trop basse altitude, a percuté la montagne mais la mauvaise visibilité l’empêche de voir quoi que ce soit. Au même instant, un autre habitant qui travaille dans les bois tout près du lieu du crash et qui vient d’avoir la peur de sa vie, redescend au village en courant afin d’aller prévenir le maire de la commune. M. Fournier quant à lui se décide à joindre la gendarmerie par téléphone. À 10h environ le commandant de la brigade de Monsols (située à 12 km de Propières), charge ses hommes de partir effectuer des recherches. Lorsqu’ils arrivent sur place, ils ont la confirmation qu’un aéronef a bien percuté la montagne avant de prendre feu. Le brouillard matinal s’est levé et du côté du lieudit « la Roche d’Ajoux », en direction du sud et à environ 2,5 km de distance, on peut maintenant clairement distinguer un important nuage de fumée. 
Sur place les gendarmes trouvent un avion bimoteur allemand terminant de se consumer. Dans les cendres ils parviennent à compter « 6 cadavres carbonisés et déchiquetés ». Les civils témoins de ces investigations parleront eux de 7 ou 8 morts. L’incendie est circonscrit et ne s’est heureusement pas propagé à travers le bois car le terrain est très humide. Les hommes de la brigade de Monsols observent que les arbres ont été coupés et incendiés sur environ 100 m2, attestant de la violence du choc. Ils décident par précaution de faire garder l’appareil car des cartouches « percutaient » encore dans les cendres. À 13h, ils font leur rapport au commandant de la section de Villefranche-sur-Saône, l’informant de la découverte de l’appareil. La machine administrative est en marche et les autorités occupantes sont prévenues de l’accident.
Leur réaction ne se fait pas attendre. À 18h, un détachement de troupes allemandes commandé par un officier arrive de Bron. Les gendarmes lui communiquent alors tous les renseignements recueillis sur les circonstances de l’accident. Les hommes ont la lourde charge de placer les corps abîmés des victimes dans des cercueils apportés par ce détachement avant de les transporter jusqu’au bourg sur des voitures à bœufs fournis par le maire. Quelques pièces n’ayant pas souffert sont retirées, puis le commandant allemand indique aux gendarmes que ce n’est pas la peine de faire garder les débris. Toute la scène se déroule sous les yeux de nombreux curieux des environs, y compris des enfants, venus « voir la guerre » de plus près. Le détachement allemand rentre à Bron le soir-même avec les corps des aviateurs. Inhumés dans un premier temps dans le carré allemand du cimetière de la Croix-Rousse, ils seront transférés après-guerre au cimetière allemand de Dagneux (Ain). 
L’avion accidenté est un LeO 451 T codé G6+DZ, du 15./TG 4 (TransportGeschwader 4).  Combien de morts ?
Il y a au moins 4 personnels navigants morts : le pilote Uffz. Herbert BUSSE, le mécanicien Obgfr. Léo KAATZ, le mitrailleur Obgfr. Kurt KOKSCHT et le radio Fhr. Hebert MATZ. De plus, 3 militaires mécaniciens du 1./ F (121) (Fernaufklärungsgruppe 121) auraient été passagers à bord de cet appareil : Obgfr. Hans Joachim CLAUS, Uffz. Nicolaus KLOSE et Uffz. Anton SCHRALL. 
L’hypothèse de la présence de ces trois mécaniciens permet de se rapprocher du nombre de corps comptés par les gendarmes et aperçus par les témoins de l’époque. Cette affirmation pose toutefois problème au regard de plusieurs documents d’archives : les archives allemandes indiquent que les trois mécaniciens sont bien morts le 3 juin, mais dans un accident de voiture. Pourquoi une telle cause a-t-elle été mentionnée ? Certains ont avancé que ces hommes n’auraient pas dû se trouver à bord. Ou bien serait-ce une simple erreur administrative ? En tout cas, le nombre de 7 victimes est confirmé par le rapport de gendarmerie du 17 juin (cf ci-dessous) avec un bémol cependant : « Il y a lieu de rappeler qu’un avion allemand s’est déjà abattu dans cette région le 3 juin 1944 à 9h30. Il y a eu également 7 victimes, 6 seulement ont été inhumées, la 7e est toujours sur les lieux de l’accident ». Or les sept noms énoncés ci-dessus sont tirés de la liste des archives des convois funéraires pour le 7 juin. Il faudrait peut-être n’en retenir que 6, le septième n’étant inhumé qu’après le 17 juin… Il y a également un huitième soldat allemand mort ce jour-là pour lequel aucune cause de décès n’est indiquée : Ogfr. Bernhard ZEMARK ; il est aussi enterré à Dagneux et son nom figure bien, avec celui des sept autres, dans les archives des convois funéraires de Lyon du 3 juin. Aurait-il pu être également à bord de l’avion ? Presque chaque jour de ce mois de juin 1944, des soldats de l’armée d’occupation meurent et leur nom figure dans les listes des convois funéraires, sans qu’aucune cause de décès ne soit énoncée. Difficile dans ces conditions d’être catégorique sur les noms des passagers du LéO de Propières !  
Cet événement marque profondément et longuement la mémoire des habitants de Propières, d’autant plus qu’un second crash va se produire à moins de 5 km de là et seulement deux semaines plus tard…

LéO 451 G6+DZ du 15./TG 4 (TransportGeschwader 4). Cet avion est l'un des 50 appareils spécialement aménagés pour la Luftwaffe, qui peuvent transporter du frêt et jusqu’à 17 personnes.

Léo 451 G6+DZ tombé à Propières le 3 juin 1944 et entouré de quelques curieux (Photographie via Jean-Louis Delattre)

17 juin 1944, Chansaye (Rhône)

Samedi matin 17 juin 1944, le village de Chansaye s’éveille doucement sous un épais brouillard. Située à seulement 5 km au sud de Propières, la commune proche du Mont Tourvéon dépend aujourd’hui de Poule-les-Écharmeaux.Monsieur Carlet , éleveur, s’attèle à la traite de ses vaches dans sa propriété située à 500 m du village. Soudain vers 7 heures, il entend un vrombissement au-dessus de sa tête et voit passer à environ 50 mètres seulement au-dessus de sa maison « un puissant avion allemand ». L’aéronef, qui vole en direction sud-est – nord-ouest, est en difficulté et replonge rapidement dans les nuages. M. Carlet entend peu après des bruits d’explosions du côté de la forêt. Il se rend au plus près de l’appareil en flammes mais ne peut pas trop s’en approcher immédiatement du fait « des balles qui fusaient dans tous les sens ». 

Vue ancienne de Chansaye, carte postale début XXe siècle

Puis le calme revient et il avance vers l’épave, distinguant 7 cadavres. Ne pouvant rien faire de plus il se rend à Poule-les-Écharmeaux à 2 km au sud, afin de prévenir le maire, probablement déjà au courant puisque plusieurs habitants de Chansaye ont entendu les explosions. L’information remonte ainsi jusqu’au Sous-Préfet. À 9h45, soit exactement deux semaines précisément après le crash de Propières, le commandant de la section de gendarmerie de Villefranche-sur-Saône reçoit un appel du Sous-Préfet. Un avion allemand s’est abattu dans les Bois d’Ajoux à 860 m d’altitude, versant sud de la Roche d’Ajoux, (3km au nord de Chansaye) causant la mort de 7 hommes, à quelques centaines de mètres seulement du crash précédent ! 
Il est 15h15 lorsque le commandant de section se rend sur place avec M. Carlet qui lui raconte ce qu’il a vu. Plusieurs arbres ont été coupés à l’horizontale à 15 m du sol par l’avion en perdition, attestant de la violence de sa chute. Les gendarmes dégagent les corps et ramassent divers papiers indiquant le nom de trois des aviateurs, Pfitzner, Rommermann et Reiner, ainsi que des objets personnels. L’avion est un bombardier mais le fuselage ayant été « déchiqueté et éparpillé », il est impossible d’en reconstituer l’indicatif. Pendant ce temps le détachement allemand, arrivé vers midi à Poule-les-Écharmeaux, fait réquisitionner Roger Aligne et Claudius Morel qui sont chargés de la pénible besogne d’aller récupérer les dépouilles avec leur attelage de bœufs. Le lendemain 18 juin, après avoir récupéré les cercueils contenant les corps des militaires à Chansaye, l’officier commandant le groupe se voit remettre les objets ramassés la veille par les gendarmes.

Junkers Ju 86 E-2, CN+DZ, tombé à Chansaye le 17 juin 1944

L’avion était un Junkers Ju 86 E-2, CN+DZ, Wnr 860124, appareil appartenant à la Luftnachrichtenschule 4 (Ln. Sch.4), l'école de navigation installée à Bron depuis le printemps 1943. À son bord : Ofw Rudolf PONITZER, Fw Clemens REINER, Obgefr Albert PLOGMANN, Uffz Ewald ROMMERMANN, Obgefr Heinz PRITZNER, Gefr Johann EFFERN, Gefr Ernst SOLEWSKI.Dans la mémoire collective locale, les deux crashes sont indissociables !

Sources et bibliographieSources : rapport de gendarmerie (retranscription), brigade de Monsols, dossier 69 E 283, lorsque la gendarmerie est prévenue du crash / Section de Villefranche-sur-Saône Source 69 E 123// Archives allemandes, informations communiquées par le Deutsche Dienstelle / Convois funéraires, AM Lyon, 1899W015 01/01/1944 – 30/06/1944 / CF  7 et 21 juin
Archives AM Lyon Convois funéraires du mercredi 7 juin cote 1899W015 : les sept noms apparaissent, mention de l’hôpital Croix Rousse et du carré allemand. Il y a aussi la mention « soldat armée d’occupation ».
Sur le site de Volksbund.de, le lieu de décès « Propières » est mentionné pour Matz, les autres soit lieu inconnu soit Lyon / Bron / Croix-Rousse, soit Villefranche. 
Archives de M. Jean-Louis Delattre
Bibliographie : bulletin municipal n°57 de Poule-les-Écharmeaux