La Guerre Tombée du CielAuvergne-Rhône-Alpes seconde Guerre mondiale

"Friendly Fire"

Le 6 août 1944, le ciel du sud-est de la France est le théâtre de nombreuses missions lancées par les Alliés, qui préparent le terrain au futur Débarquement de Provence. Ce jour-là les voies de communication, nœuds ferroviaires et aérodromes sont encore pris pour cible par des centaines de bombardiers accompagnés de chasseurs d’escorte qui sillonnent le ciel jusqu’à Portes-Lès-Valence, Saint-Rambert-d’Albon, le Pouzin, la Voulte-sur-Rhône, Givors, Lyon, Valence-la-Trésorerie, entre autres. 
Au matin de cette journée qui s’annonce agitée, sept Mosquitos sont envoyés en reconnaissance photographique ; trois doivent survoler Lyon mais deux seulement y parviendront. Au total seuls trois appareils réussiront leur mission, malgré les conditions météorologiques optimales en Angleterre comme en France. Quatre appareils voient en effet leur mission écourtée : deux sont poursuivis par des chasseurs et parviennent à se tirer d’affaire (dont le F/O A.P. Morgan près de Lyon, ayant rencontré 12 chasseurs - certainement les P51 du raid / dans le rapport de mission américain, un autre appareil est mentionné, poursuivi en vain vers le nord). Un autre connaît des problèmes moteur au-dessus de Bordeaux et doit faire demi-tour. Le quatrième ne rentrera pas.
 L’avion De Havilland Mosquito PR XVI serial NS 504 du Squadron 544 prend son envol depuis la base RAF de Benson (sud Oxfordshire -Angleterre). Il est 9h, heure anglaise. Aux commandes, le pilote F/L John Stanley Jack Towsey et son navigateur F/O Richard John Kingham, de la Royal Air Force Volunteer Reserve (RAFVR). Leur mission de reconnaissance photo doit les emmener en France et leur feuille de route indique le trajet suivant : Orléans, Sens, Lyon, Tours, Orléans, Lyon avant de revenir à Benson. But de la mission : « to cover railway targets between Paris and Lyons ». Dans le même temps plusieurs dizaines de bombardiers B-24 Liberator du 455th BG décollent de la région de Foggia, en Italie du Sud. Peu après des chasseurs P-51 Mustang d’escorte, partis de Sans Severo, les rejoignent et tous prennent la direction du sud-est de la France. Leur cible est le dépôt d’essence du Port Édouard Herriot situé au sud de Lyon. 
La route des bombardiers va croiser celle de l’appareil anglais ; vers 10h30, le Mosquito se trouve aux alentours de Lyon alors même que les avions du 455th BG ont déjà largué leurs projectiles et s’apprêtent à prendre la route du retour. Aussitôt qu’ils l’aperçoivent, les P-51 d’escorte américains conformément à leur mission de protection du raid le prennent en chasse, pensant peut-être qu’il s’agit d’un bimoteur allemand d’aspect similaire, un Messerschmitt Me 410. Une terrible poursuite s’engage alors entre les deux appareils, pourtant alliés. L’un des chasseurs aux commandes d’un P-51D du 309th FS parvient au plus près du Mosquito, parcourant des yeux le vert olive de la peinture mais sans avoir le temps toutefois de voir ses marquages et de pouvoir confirmer qu’il s’agit bien d’un avion allemand. Le pilote 1st Lt John R. Busley tente de joindre l’équipage de l’autre appareil par radio mais sans succès et rien ne peut désormais stopper la tragédie aérienne en cours. Towsey manœuvre comme il le peut pour échapper aux griffes du P-51, il plonge au plus près du sol mais rien n’y fait. Au moins deux témoins au sol près de Saint-Vulbas aperçoivent les appareils, l’un pourchassant l’autre, du côté de Mont-Bron (il y a une "allée du Mont Bron" à St Vulbas; le terme désigne une éminence de terre correspondant aux moraines glaciaires) ; ils affirment que l’aile et le moteur gauche du Mosquito étaient en flamme lorsqu’il a commencé à descendre selon un axe sud – nord et avant qu’il ne vire subitement à droite et ne s’écrase hameau des Gaboureaux, route de Ricoty, sur le territoire de la commune de Saint-Vulbas (Ain)*

Mosquito PR XVI serial NS 504, 544 Sqn, piloté par F/L Towsey et son navigateur F/O Kigham (RAFVR) le jour de son crash le 6 août 1944

Le pilote du P-51 affirme ne pas avoir ouvert le feu, peut-être à cause de doutes concernant la nationalité de sa proie. L’appareil pourchassé aurait piqué subitement à une vitesse de 550 Mph soit environ 885 km/h**. Ses ailes se seraient arrachées à 7000 pieds (2133m), alors qu’il survolait Saint-Maurice de Gourdans (45°50’N – 05°10’E) situé à près de 4km du lieu du crash. Sous la violence du choc, le F/O Kingham est éjecté et est retrouvé mort à la sortie nord des Gaboureaux. Il était encore pourvu de son équipement radio. L’épave de l’appareil et l’un des moteurs qui s’est détaché sont retrouvés à environ 1 km de son corps, près de la route de Ricoty. Quelques pièces de l’appareil, dont une caméra, tombées peu avant l’impact se trouvent éparpillées dans la même zone. Dans l’operation book du Sqn 544 (Summary events - archives anglaises) il est noté, à la date du 6 août, que les appareils du F/O Morgan - qui lui a pu rentrer à Benson- ainsi que celui de Towsey ont probablement été attaqués par des chasseurs escortant un raid de la XVe Air Force ; il est ajouté « It is feared that it will be impossible to confirm this ». *Localisation du crash
Emplacement de l’épave 45°49’14’’N – 5°14’38’’E (route de Ricoty, les Gaboureaux à Saint Vulbas)
D’après le rapport de mission pilote P51, le Mosquito a explosé en vol : 45° 50’ N – 05° 10’ E (St Maurice de Gourdans environ 4 km ONO du lieu du crash)
Les deux aviateurs sont inhumés à la Guillotière. Ils seront transférés à la Doua le 20 octobre 1956. Ils sont placés côte à côte dans le carré C, 3e rang, n°2 et 3.  **Le rapport américain évalue cette vitesse en piqué, qui n'a bien sûr rien à voir avec la vitesse de l'appareil en conditions normales!

Évènement tragique mais ô combien courant durant le second conflit mondial. Le phénomène est désigné à l’époque par la mention « friendly fire » ou FF, et actuellement synthétisé dans le code OTAN par « Blue on Blue fire ». Les tirs fratricides n’épargnent aucun belligérant et englobent ainsi des événements air-air tout comme des engagements sol-air et air-sol. Comme exemples de ces deux dernières catégories nous pouvons citer les bombardements préliminaires à l’opération « Cobra » (25 juillet 1944) en Normandie qui tuent 111 soldats américains dont le lieutenant général Lesley McNair et la Flak qui abat une vingtaine d’appareils de la Luftwaffe lors de la dernière opération d’envergure de l’aviation allemande (« Bodenplatte, 1er janvier 1945). 
La cause principale de ces funestes méprises tient dans l’intrication de multiples opérations lors d’engagements autant chaotiques que mobiles. Savoir « qui est qui » dans un environnement mouvant alors que l’information peut se révéler moins véloce que le déroulement des opérations relève du vœu pieux. Des process d’identification et des règles d’engagement furent mis en place et continuent à l’être mais il faut rester conscient que plus les engagements de la Bataille s’imbriquent et se multiplient, plus le risque d’identification erronée s’accroit. En ce moment même, dans le conflit qui déchire notre continent, les armées ukrainiennes et russes connaissent un taux non négligeable de tirs fratricides. A titre d’exemple, le tiers des appareils ukrainiens abattus lors des deux premières semaines du conflit le furent par des tirs de dca provenant de leur propre camp … 
Towsey et Kingham décèdent le 6 août 1944 sur le champ de bataille, non pas à cause de l’ennemi mais en raison du chaos généré par les événements et d’une prise de risque qui va au-delà de la simple opposition ami-ennemi. 
 N&JF Kauffmann

Biblio :
Article du CALM juin 2015 d’après « Tragique méprise aérienne dans le ciel de l’Ain », Jean-François Ravasseau habitant Blyes ; il retrouve la trace de la famille de Kingham grâce à Gilles Collaveri 
Cérémonie commémorative le 13 juin 2015 en présence des deux familles venues des Etats-Unis et de Grande-Bretagne.
Sources : 
-    National archives, Air 27/2028 ORB du sqn 544 
-    Rapport américain mission n°600, région lyonnaise, 6 août 1944