La Guerre Tombée du CielAuvergne-Rhône-Alpes seconde Guerre mondiale

Brouillard de guerre

Le 10 novembre 1942 un cessez-le-feu est signé entre l’amiral Darlan et les Alliés à Alger. Le débarquement en Afrique du Nord (opération « Torch ») est un succès. En réponse les troupes allemandes pénètrent dans le sud de la France au mépris des conventions d’armistice (opération « Anton »). Si les buts principaux sont le contrôle de la totalité du territoire national et la mainmise sur la flotte française stationnée à Toulon, l’occupant n’hésite pas à s’accaparer l’ensemble du matériel militaire qu’il trouve. En outre il fait main basse sur près de 1700 avions de tous types qui seront utilisés pour la plupart par les troupes de l’Axe.

Parmi eux se trouvent 169 Dewoitine 520 répartis entre l’Armée d’Armistice et le parc de l’usine de Saint-Martin-du-Touch à côté de l’aérodrome de Toulouse-Blagnac où ils sont produits. Par la suite 180 autres seront construits par la SNCASE et livrés à l’Occupant. Les utilisateurs du D520 sont l’Italie, la Bulgarie et l’Allemagne. Les deux premiers l’utiliseront en première ligne et il s’opposera avec plus ou moins de réussite aux armadas de bombardement américaines.

La Luftwaffe ne réserve pas à cet avion un rôle de combat, il sert dans les escadres d’école de chasse JG 105, 101, 103 et 107. Ainsi il formera des centaines de pilotes dans la phase ultime de leur préparation. Dans l’ensemble l’appareil est apprécié pour sa souplesse et son agilité. Un de ces apprentis chasseurs est le Feldwebell Erich Dennhoff né le 11 avril 1920 à Saarbrücken. Il rejoint le I./JG 107 à Nancy-Essey. Cette unité y est basée depuis sa création en janvier 1943 et dirigée par le Major Franz Hörnig âgé de 30 ans.  

Dewoitine D 520 codé 51 du 1./JagdlehrerGruppe, Orange-Caritat, décembre 1943. C’est sur un appareil identique que le Fw Erich Dennhoff se tue le 3 décembre 1943.

Vendredi 3 décembre 1943, ferme de la famille Chatal, hameau de Le Charpenay, commune de Les Sauvages, département du Rhône. Il est 13h50, la maîtresse de maison s’affaire dans la cour de la bâtisse. Elle élève seule depuis la débâcle de mai-juin 40 sa fille âgée de 13 ans qui à cette heure se trouve à l’école communale. Comme de nombreuses épouses de soldats prisonniers en Allemagne le sort du foyer dépend uniquement de son travail.
Le soleil n’est pas au rendez vous ce jour là : le ciel est bas, il fait froid (5°) et une fine bruine achève de rendre cette journée de fin d’automne d’une morosité écrasante. Le paysage vallonné, parsemé de basses montagnes dont les sommets sont cachés par la brume, est figé dans sa sérénité grisâtre.
Puis soudainement le calme est rompu par un bruit de moteur sans cesse croissant dont l’écho résonne sur les pentes arborées. Madame Chatal est surprise par ce bruit qui est certes reconnu mais qui n’est pas familier de ces lieux. Elle lève la tête pour apercevoir la frêle silhouette d’un avion glisser, se perdre entre les nuages et réapparaître aussitôt. Ainsi l’appareil va tourner plusieurs fois au dessus de la ferme avant d’incliner sa course vers le sol et de percuter la montagne à 200m de notre témoin. Il est 14h00 lorsque le fracas se fait entendre.
Catastrophée par la scène, la fermière se rend chez ses voisins afin de faire avertir les autorités. Deux heures après, gendarmes français et soldats allemands entourent le lieu de l’accident. Le corps du pilote décédé est emmené à la ferme de Madame Chatal et sera veillé par ses soins et ses prières. Le lendemain il est conduit à Lyon pour y être inhumé. Les restes de l’appareil rejoignent deux jours plus tard l’aérodrome de Bron où ils seront entreposés quelques temps avant d’être ferraillés.

Lieu du crash du D520 n°610 piloté par le Fw E. Dennhoff, le 3 décembre 1943, hameau le Charpenay, commune les Sauvages

Madame Chatal, sans le savoir -l’identité du jeune pilote ne lui sera révélée que 30 années plus tard!- vient de faire connaissance en de funestes circonstances avec Erich Dennhoff. Ce dernier, parti vers 13h00 de Nancy-Essey aux commandes du Dewoitine 520 n° 610, se rendait vers le sud ouest lorsque sa trajectoire pris fin entre Tarare et Roanne.
Que s’est il passé ce jour-là ? En l’absence d’un rapport d’accident complet et d’autre source de témoignage il est impossible de connaître la vérité. Néanmoins certaines constatations peuvent être émises au service de deux hypothèses :
-1 Convoyage de l’appareil entre Nancy et Toulouse. En effet, comme nous l’avons vu précédemment, la base logistique du D520 est Toulouse ; les ateliers de réparations et de maintenance s’y trouvent. L’autonomie de cet appareil est de 900 km lors d’un vol à 400 km/h et à l’altitude de 5000m. Un tel trajet fait 680 km, ce qui est réalisable d’un seul trait. Or, le n°610, à mi-parcours, c’est à dire 1 heure de vol depuis son décollage, se trouve au dessus de Le Charpenay à une altitude beaucoup plus basse puisque le crash se situe à environ 650m. Le pilote sait parfaitement qu’à ce moment du vol il n’est pas encore arrivé à destination. Cependant il descend et suit une trajectoire circulaire. Ces faits plaident en faveur d’un ennui technique et d’une urgente obligation de se poser. Ce qui malheureusement n’arriva pas …
-2 Trajet entre Nancy et un aérodrome du centre de la France. En effet les bases de Lyon-Bron et Clermont-Aulnat accueillent régulièrement des vols de transit, des escales techniques, divers vols d’études et de qualification, etc … Dans ce cas, il est fort probable que le Fw. Erich Dennhoff par suite d’une erreur de navigation se soit cru au-dessus de sa destination et qu’ayant percé la couche nuageuse il ait cherché quelques repères pour requalifier sa route. Bron et Aulnat se trouvant à une heure de vol d’Essey le jeune pilote avait de toute façon prévu de descendre vers le sol pour sa fin de parcours.
Quoiqu’il en soit cette histoire illustre outre le drame humain, la rencontre fortuite de deux destins que tout opposait : la jeune fermière seule faisant face au quotidien dans l’attente de la libération de son mari et l’apprenti « Jaeger » pilotant un avion initialement prévu à la nation qu’il survolait sans en partager les turpitudes.  Le Dewoitine 520 ayant suscité tant d’espoir en 1940 se retrouva finalement au service de ceux qu’il était destiné à affronter. Retournement de circonstance, hommage improbable et ironie de l’Histoire en ces temps où tout finit par se confondre … 

P.S.: Grâce à Lionel Persyn (que nous remercions chaleureusement), la genèse de cet avion nous est connue: "le n°610 est sorti d'usine début juin 1942 ; premier vol le 16 juin 1942 par Léopold Galy ; retour en usine suite à ce premier vol, faux longeron craqué ; réceptionné par le CRAS le 24 juin 1942 ; livré au DS de Montpellier à la mi-juillet 1942 où il sera capturé par les Allemands ; réception SNCASE (sous contrôle allemand) le 11 mai 1943 ; livré à la JG 107 à Nancy-Essey".