La Guerre Tombée du CielAuvergne-Rhône-Alpes seconde Guerre mondiale

Meythet (Haute-Savoie) - Nuit du 14 au 15 août 1943

En 1943, plusieurs parachutages clandestins sont effectués dans le secteur d’Annecy où la Résistance est très active. Des unités de la Royal Air Force dédiées à ces opérations travaillent avec les services spéciaux français (BCRA) et britanniques (SOE) et interviennent dans la région ; il s’agit des 161 et 138 squadrons dotés de différents types d’avions : monomoteurs Westland Lysander, bimoteurs Armstrong Whitworth Whitley et quadrimoteurs Handley Page Halifax. Ce soir-là, à quelques kilomètres au nord-ouest d’Annecy, l’un de ces appareils en difficulté, un Halifax, va s'écraser sur un quartier d'habitations.

La mission
Dans la soirée du 14 août 1943 le Halifax B Mk II codé NF-O, serial JD 180, du 138 Sqn de la RAF, décolle de la base de Tempsford en Angleterre pour mener à bien l'opération "Pimento 37". Sa mission est triple : exécuter un largage de tracts et deux parachutages au profit de la Résistance: l'un à 10 km au nord d'Annecy, col de Frétallaz, non loin du Plateau des Glières, et l'autre à Modane. Le Halifax effectue une partie du vol avec 140 Lancaster qui prennent la direction de Milan pour une opération de bombardement.  
Aux environs de 1h et après un vol sans histoire, mise à part un peu de brouillard rencontré à la hauteur de Blois au-dessus de la Loire, le Halifax NF-O piloté par le Squadron leader Franck C. Griffiths a laissé la formation de Lancaster poursuivre sa route vers l'Italie. Il survole à basse altitude le Lac d’Annecy une première fois, avant de remonter vers le nord. Le temps est bien dégagé et l’équipage ne devrait pas tarder à apercevoir les signaux lumineux que l’équipe au sol du réseau Pimento (Réseau SOE) a dû installer sur le terrain près de Charvonnex. Le bombardier opère un demi-tour au-dessus d’Annecy et largue des tracts, avant de survoler à nouveau le lac et de prendre la voie du nord pour tenter encore une fois d’identifier la Drop Zone. Des Annéciens perçoivent le bourdonnement des moteurs de l’appareil mais ne sont pas surpris : ils sont habitués au bruit des bombardiers anglais en route vers des cibles en Italie du nord et qui survolent leur commune. 
Alors que le Halifax est toujours à la recherche de sa cible, et que le pilote commence à se demander s'il ne va pas abandonner et prendre la route de sa seconde mission, il fait une subite embardée sur la gauche au moment même où l’un des moteurs lâche. Le S/Ldr Griffiths tente d'appeler le mécanicien Sgt Davies à la rescousse mais il est parti à l'arrière de l'appareil pour aider au parachutage des containers le Sgt Maden, despatcher, et n'a pas son casque. Soudain le deuxième moteur gauche se coupe également. Malgré tous les efforts du pilote, l'appareil fait une violente embardée à gauche le rendant difficilement contrôlable! Les soutes sont ouvertes et quelques containers remplis d'armes, de vêtements, de conserves, d'argent, de chocolat et de cigarettes, largués dans le but d’alléger l’avion, tombent en bordure du terrain d’aviation de Meythet. Griffiths souhaite atteindre le lac pour éviter de s’écraser sur la ville mais il réalise que son appareil perd de l’altitude trop rapidement. Entre temps les témoins se sont rendus compte au bruit qu’il produisait qu’il n’y avait qu’un seul avion et qu’il était en difficulté. Sortis de chez eux, certains affirmeront avoir vu le Halifax volant très bas avec l’un de ses moteurs en flammes avant d’entendre des bruits d’explosion. Le pilote ordonne à son équipage de se placer à l'arrière de l'appareil et à de se préparer au pire. Lui reste aux commandes mais l'avion perd inexorablement de l'altitude et c'est vainement qu'il tente de redresser. Il se sent impuissant alors que le Halifax frôle la cime des arbres à une vitesse encore très élevée. Soudain l'aile droite heurte une maison. Il perd connaissance.

Halifax B Mk II codé NF-O, serial JD 180, du 138 squadron (RAF)

Le crash
L'appareil s’écrase à 1h15 au lieudit Pont-de-Tasset, à la limite de la commune de Meythet et près d’Annecy ; il dévaste le hameau, détruit et incendie des maisons, causant cinq morts parmi les civils : Erminia Della Vedora et ses deux fils, Serge et Olivier, leur voisin du dessous Ernest Maritano et Pierre Krattinger, boulanger. Plusieurs sont également blessés. Sur les sept membres d'équipage, cinq meurent sur le coup, la violence du crash ne leur laissant aucune chance : Flying Officer S.J. Congdon, navigateur, Flying Officer R.A. MacKenzie, navigateur, Flight Sergeant R.W. Peters, radio-mitrailleur, Sergeant F.R. Davies, mécanicien, et Flight Sergeant F. Pollard, mitrailleur arrière, sont en effet tués sur le coup. Sergeant J. Maden, despatcher, est encore vivant mais gravement blessé; il meurt peu après à l'Hôpital d'Annecy. Seul le pilote Frank C. Griffiths est un véritable miraculé. 
Le 17 août ses compagnons sont inhumés au cimetière de Meythet. Les Italiens qui souhaitaient effectuer un enterrement en toute discrétion sont très étonnés de voir affluer des milliers d’Annéciens et d’habitants des environs venus rendre hommage aux aviateurs. Les Alliés eux-mêmes sont surpris d’un tel engouement prouvant que l’esprit de résistance était plus vivace que jamais dans ce secteur de la Haute-Savoie. La Marseillaise résonne bientôt et la cérémonie tourne court. Congdon et Pollard restent inhumés à Meythet tandis que les corps de McKenzie, Peters, Davies et Maden sont transférés au cimetière britannique de Saint-Germain-au-Mont-d’Or près de Lyon. 

Photographies prises peu après l'accident , lieudit Pont-de-Tasset, commune de Meythet. Sous la violence du choc, l'appareil s'est disloqué en plusieurs parties dont certaines se sont encastrées dans les immeubles, causant cinq morts et des blessés parmi les civils. Six membres de l'équipage sont tués, seul le pilote Frank C. Griffiths, en sort miraculeusement vivant.

Que devient le seul rescapé ? 
Griffiths, blessé et sonné, est aidé par des habitants notamment Angeline Fontaine et sa famille, puis par des membres de la Résistance qui l’amènent en lieu sûr et lui prodiguent des soins. Il peut ainsi rejoindre la Suisse seulement quelques jours après, accompagné entre autres par Lucien Mégevand -alias « Pan Pan », chef du corps-franc de la Mandallaz- et la jeune Colette Périès, membre de l’Armée Secrète. Il repassera en France pour relier l'Espagne puis Gibraltar avant de gagner l'Angleterre. De nombreuses années après, il rédigera ses mémoires. Concernant le crash du Halifax, les Italiens ont prétendu avoir tiré sur l'aéronef et l'avoir abattu. Version contestée par Griffiths, qui explique ne pas avoir ressenti de chocs laissant penser que des projectiles avaient atteint la carlingue.
Le 11 septembre 1994, une stèle à la mémoire des membres d’équipage et des victimes civiles a été inaugurée sur le lieu de l’accident.
 Nadège & JF Kauffmann

Sources et bibliographie
Loss card 
Operation records book du Sqn 138 
"Opération Pimento, le SOE opère en France", récit du vol et du crash par Ronald McNairLe Dauphiné Libéré Annecy
-    9 septembre 1994, « Crash du bombardier britannique »
-    8 avril 1996, « Au-revoir Capitaine » année du décès de Frank C. Griffiths
L’Essor savoyard
-    9 septembre 1994, « Il y a 51 ans, un bombardier chutait »
-    25 septembre 1994, « Ce n’était pas son heure… »
Magazine « Halifax, from front-line bomber to post-war transport”, Aeroplane Icons, 2013
Claude ANTOINE, « crash à Meythet : le 15 août 1943, un bombardier britannique s’écrase au Pont de Tasset », 1975Général Jean-Marc GIULI, "La Haute-Savoie résistante les femmes aussi...", Association des Glières, 2018Page Facebook de la Ville d’Annecy Franck GRIFFITHS, "Winged hours, autobiography", 1981 (non consulté)