La Guerre Tombée du CielAuvergne-Rhône-Alpes seconde Guerre mondiale

Attention aux parachutistes ! 

La possibilité d’infiltration d’un ennemi arrivé par les airs alimente la peur de la constitution d’une « cinquième colonne » dans notre région dès le début du conflit. Moqué par les journaux durant la « Drôle de Guerre » en 1939-1940, le moyen est pourtant largement utilisé ensuite par les Résistants et leurs soutiens afin de lutter contre l’occupant. Après les Débarquements et le reflux de l’Armée allemande vers le Nord et l’Est devant la progression des Alliés, le procédé change à nouveau de camp fin 1944. Alors que les combats continuent et sont encore proches malgré la libération d’une grande partie d’Auvergne-Rhône-Alpes, on se bat encore à la frontière Nord-Est de la France, dans les Alpes et dans les « poches » du côté de l’Atlantique - quelques parachutages vont se produire dans notre région jusqu’au début de l’année 1945. La crainte de l’infiltration d’agents ennemis par cette voie paraît excessive : les moyens aériens de l’Allemagne à ce moment-là ne sont plus suffisants pour mener des opérations secrètes sur une aire conséquente. Toutefois cela va causer une grande inquiétude en France et nécessiter une réaction des autorités locales de notre région. L’origine de ces actions se trouve à Sigmaringen, une ville située dans le sud de l’Allemagne, dans le land de Bade-Wurtenberg où les derniers collaborateurs vichystes en déroute se replient et organisent un gouvernement aussi dérisoire que condamné.

 

Le gouvernement de Vichy en fuite à Belfort puis à Sigmaringen
Après que Hitler a ordonné le repli de l’armée allemande le 19 août, le gouvernement de Vichy est transféré en Territoire de Belfort. Le Maréchal Pétain qui n’est plus à la tête de l’État français dès le 20 aurait refusé de partir, souhaitant passer le pouvoir au Général de Gaulle. Il aurait été emmené de force, contrairement à son chef de gouvernement Pierre Laval, favorable à la poursuite de la Collaboration malgré les circonstances et l’approche inexorable des Alliés. De nombreux miliciens sont présents et vont les suivre ensuite en Allemagne. Cette fois même Laval aurait protesté mais Hitler en a décidé ainsi : après avoir chassé les princes Hohenzollern de leur château de Sigmaringen, cette vaste demeure surplombant le Danube va accueillir  dès le 7 septembre ce gouvernement de Vichy en exil appelé
« Commission gouvernementale française pour la défense des intérêts nationaux ». Pétain loge au septième étage et le drapeau français est hissé au sommet de la citadelle. 
La vie s’organise à Sigmaringen : plusieurs milliers de collaborateurs accompagnent ces dirigeants sans territoire ; le chiffre de 2000 familles de miliciens est avancé par certains. Également, parmi cette population croyant encore au mirage d’une Grande Allemagne, Jacques Doriot, fondateur du Parti Populaire Français, Joseph Darnand, secrétaire d’État à l’Intérieur de Vichy, Marcel Déat, ministre du travail et Jean Filiol, co-fondateur de l’organisation terroriste la Cagoule et supranationaliste notoire, tous défenseurs jusqu’au-boutistes du Reich. Doriot, qui reçoit la confiance de Hitler, souhaite créer un Comité de Libération française. Pour mener à bien son projet, Himmler est même chargé de lui fournir une aide matérielle.
Parmi les exilés, on peut aussi rencontrer Céline occupé à rédiger un roman « D’un château l’autre » - dans lequel il évoque « Siegmaringen » au lieu de Sigmaringen, "Sieg" signifiant victoire et étant également utilisé pour le salut nazi « Sieg Heil » -. Quelques 2000 miliciens intégrés à la Division Charlemagne sont envoyés combattre sur le front russe, et environ 2000 autres sont utilisés comme main d’œuvre dans les usines. L’art de la manipulation par la communication n’est pas oublié : un nommé Jean Luchaire, patron de presse et journaliste, crée une radio « Radio-Patrie » que relaie Radio-Stuttgart (celle-là même qui annonce les accidents de l’École d’Istres en décembre 1939 - cf "La Guerre tombée du ciel" Tome 1). Prenant pour modèle les opérations clandestines de la Résistance et les messages BBC, elle va bientôt diffuser des émissions à destination des agents parachutés. L’opération « Maquis blanc » est lancée sur la France.

Carte postale, Sigmaringen Le Château, milieu du XXe siècle

L’opération « maquis blanc » et son organisation
Le but de cette opération est de mettre en place, après le reflux des Nazis, des maquis formés d’ex-miliciens pour lutter contre les Alliés, le gouvernement provisoire et surtout les Communistes (le terme « blanc » s’oppose au « rouge », couleur du communisme). Des individus sont recrutés parmi les Français les plus ardents défenseurs de la Collaboration, les plus conquis du IIIe Reich. Sa mise en œuvre consiste à envoyer des agents de terrain formés par la RSHA – Reichssicherheitshauptamt, services de renseignement - qui a succédé à l’Abwehr dissoute en février 1944 – derrière les lignes de front. Ces saboteurs, opérateurs-radio ou agents de renseignements ne seront finalement que peu nombreux à être parachutés entre la fin 1944 et début 1945. D’après l’historien Max Gallo : « parfois une quinzaine d’agents (qui) traversent les lignes chaque semaine (de fin 1944 à février ou mars 1945). Ils émettent quelques messages concernant des renseignements sans importance ». Malgré tout, l’opération nécessite une importante organisation pour la formation des agents et leur transport derrière les lignes de front.

Les organes mis en place pour Maquis Blanc sont dirigés par des Français collaborateurs placés sous le contrôle d’officiers SS. Une section de sabotage est créée, nommée Organisation Technique (OT), avec à sa tête Jean Filiol. Sa mission : former des agents français qui seront parachutés derrière les lignes ennemies et qui pourront ramener des renseignements sur les mouvements des troupes, perturber le ravitaillement par du sabotage, constituer des maquis et pourquoi pas convaincre les Alliés de s’unir aux Allemands afin de lutter contre les Communistes. Le QG de Filiol est installé à Krauchenwies près de Sigmaringen, et trois centres d’entraînement sont créés : l’OT-1 à Wald non loin de Sigmaringen pour l’entraînement aux techniques de renseignement, l’OT-2 à Hausen près de Francfort-sur-le-Main pour l’enseignement du sabotage et enfin l’OT-3 basé à Wiesbaden à l’ouest de Francfort-sur-le-Main pour la formation des futurs opérateurs-radio. Une centaine d’hommes y seront formés. Le secret de leur mission devant être préservé, ils vivent à part des autres français tout en étant considérés comme des agents d’élite dont Céline brossera des portraits éloquents dans ses ouvrages après-guerre.  
Il faut maintenant acheminer ces hommes sur le théâtre des opérations. L’opération Maquis blanc nécessite donc le support d’une unité aérienne. 

 

La participation d’une unité très spéciale, le KG 200
Le Kampfgeschwader 200 (KG 200) est une unité de bombardiers de la Luftwaffe créée pour des opérations spéciales telles que des vols de reconnaissance longue distance, des tests sur des nouveaux appareils et l’exploitation d’avions capturés. Les équipages utilisent des avions allemands, Ju 290, Ju 188, He 115 (pour le ravitaillement via l’Atlantique de St Nazaire et La Rochelle)… mais aussi des LeO H.246.1, des B-17 et B-24 capturés et repeints aux couleurs allemandes. 
Au début de l’année 1944, le KG 200 est remanié : après l’arrivée de l’Oblt Stahl à sa tête en novembre (nommé par l’Oberst Baumbach), le 4. Staffel du I./KG 200 (4./KG 200), se spécialise dans les opérations sur de longues distances. Il est organisé en groupes appelés Kommandos, et s’occupe désormais du transport d’agents et de matériel derrière les lignes ennemis. C’est ainsi que de nombreux hommes sont parachutés à l’est et notamment au-dessus du territoire russe, en Europe de l’Est, au Proche-Orient et en Afrique puis également à l’ouest lorsque les Alliés commencent à libérer progressivement des territoires. 
Pour les parachutages à destination de la France, la Belgique et la Hollande, c’est le Kommando « Olga » qui opère depuis Francfort-sur-le-Main. Le Hauptmann Stahl, ancien Staka au KG 30, en prend le commandement dès novembre. Durant l’hiver 1944, à cause des nombreux raids américains sur les aérodromes et à la suite de la perte de nombreux hommes et matériel, l’unité doit se déplacer vers le sud et occupe désormais la base de Stuttgart-Echterdingen. Stahl raconte qu’en l’absence de liaison avec le commandement de Berlin, et à cause de la désorganisation inhérente à la situation catastrophique dans laquelle se trouve alors l’Allemagne, il doit lui-même chercher un terrain et un commandant prêt à accueillir l’unité. Les missions se raréfient à cause des conditions hivernales mais aussi des maraudes diurnes des appareils alliés qui empêchent les Allemands d’effectuer des vols d’entretiens de leurs avions et de les préparer aux opérations nocturnes. Le 7 avril 1945, les troupes américaines et françaises sont très proches de Stuttgart. C'est le départ pour la Bavière à Fürstenfeldbruck. Puis ils doivent partir à nouveau pour Oberpfaffenhofen, les communications avec Berlin étant coupées. Les autres kommandos sont alors en Autriche. Certains tiennent en croyant le discours officiel : des pourparlers se dérouleraient avec les Alliés pour se liguer contre les Soviétiques. Le 25 avril, peu avant la défaite finale, ce qu’il reste du KG 200 – Olga et deux ou trois groupes en Autriche - est dissout. Les hommes camouflent leurs avions et se préoccupent dès lors d’éviter d’être capturés. Le commandant Stahl les libère de leurs obligations.
Après-guerre, Stahl revenant sur les événements ne considérait pas que le KG 200 eut fait quelque chose d’extraordinaire ou eut été une unité secrète spéciale. Selon lui, les équipages et hommes employés se contentaient de réaliser une tâche normale en temps de guerre. 

Photo extraite de “KG 200 The Luftwaffe’s most secret unit”, Geoffrey J. Thomas, Barry Ketley, Hikoki Publications, 2003

Les avions d’« Olga »
À la disposition des équipages d’Olga : 6 Junkers Ju 188 et 2 bombardiers américains B-17. Ce groupe assure des parachutages en Mer du Nord, sur les Côtes de la Manche, en Angleterre, en Hollande, en Belgique, en France, en Biscaye et sur le littoral méditerranéen. Soumis aux mêmes risques que les avions alliés lorsqu’ils effectuent des opérations clandestines (cf. tomes 1 et 2 de "La Guerre Tombée du Ciel"), ils volent feux de navigation éteints pour ne pas se faire surprendre par des chasseurs de nuit et rencontrent les aléas de la météo. De nombreuses missions réclamées par le commandement ne peuvent être assurées. Des pertes sont à déplorer lors des opérations liées aux contre-offensives dans les Ardennes en décembre 1944 et en Alsace en janvier 1945. En dépit de toutes les tentatives visant à endiguer le flux des Alliés le front de l’ouest se déplace en direction du cœur du Reich. 

B-17F serial 42-3190 capturé et repeint aux couleurs allemandes, affecté au Stab I. / KG 200, A3+BB. L'appareil effectue quelques missions de parachutages d'agents notamment en France avant d'être abattu le 3 mars 1945 à Luvigny (Vosges), à 6h18 - pilote: Fahnrich Schenderlein - par un Beaufighter du 415th NFS - pilote: Lt Gilpin -, qui l'a pris pour un FW 200.

Ju 188D-2, A3+OD, affecté au 4./KG 200, le Kommando Olga

Listes des pertes du 4./KG 200: 
Date                             Appareil                                                                            Lieu et circonstances
9 décembre 1944         Ju 188 codé A3+BD                                                           Belgique (sans précision). Probablement abattu.
23 janvier 1945            Ju 188 codé A3+QD, Wk 260542                                     Diest (Belgique). Abattu par un chasseur de nuit.
3 février 1945              Ju 188 codé A3+LD, Wk 260399                                      Allemagne (Mernes)
9 février 1945              B-17-F codé A3+CE (42-30146, « Down and Go ! »)*   Allemagne (Echterdingen).

*L’appareil s’apprêtait à prendre la direction du sud de la France. Seul le mitrailleur de queue sur les onze membres d’équipage parvient à s’en sortir. Dix passagers, des proches de Pétain et Laval qui devaient être parachutés près de la frontière espagnole, y laissent la vie. ! il est affirmé que ces VIP étaient missionnés pour mener des pourparlers Pétain – De Gaulle… Un enquêteur conclut hâtivement à un sabotage. Stahl pense s’un système d’autodestruction de l’appareil se serait déréglé. 

3 mars 1945               B-17-G codé A3+BB (42-3190, « Mr Five by Five »)       Luvigny. Abattu par un Beaufighter du 415th NFS (Lt Gilpin)

 

Ceux qui restent au KG 200 ont un moral très bas mais continuent toutefois d’assurer leur mission vaille-que-vaille, tout en s’interrogeant sur le sens de ce qu’ils considèrent alors comme des sacrifices… La menace d’un bombardement allié sur l’aérodrome, les difficultés d’approvisionnement en nourriture et en fuel, et les problèmes mécaniques des appareils mal entretenus faute de pièces ou à cause de la menace alliée ajoutent à l’anxiété qui se généralise. Les communications sont coupées, tous sont lucides, l’hallali va bientôt sonner.

Photos extraite de “KG 200 The Luftwaffe’s most secret unit”, Geoffrey J. Thomas, Barry Ketley, Hikoki Publications, 2003

Considérations techniques

Un Ju 188 transporte quatre passagers tandis qu’un B-17 en emporte une dizaine. Les agents n’ont pas forcément le temps de se former au saut en parachute. Pour limiter les accidents et éviter la peur du saut, des containers bien particuliers sont utilisés. Dans les archives FFI de Loire-Atlantique se trouve une notice détaillée de l’un de ces objets et des croquis réalisés à partir du témoignage de résistants ayant approché un container tombé à Bucy-le-Long près de Soissons le 25 décembre 1944. 
Ces capsules, baptisées PAG (Personen Abwurf Gerät), sont évoquées par Stahl dans son livre en qualifiant ce moyen d’assez incroyable. Développé à cause du manque d’avions de transport plus gros, il ressemble à une bombe géante faite de contreplaqué, pouvant être attachée sur des porte bombes sous les ailes et larguée en pressant un bouton, comme une bombe classique. Le container, d’un mètre de diamètre, peut contenir trois personnes en position couchée, sur deux niveaux. Le système est maintenu par une solide sangle de harnais ; dans la partie supérieure se trouvent trois parachutes sous un couvercle en aluminium profilé. Lorsque le container est libéré de l’avion, la corde se tend et détache le couvercle, les parachutes s’activent. Les avantages du système : le parachutage est plus précis, les trois hommes ne s’éparpillent pas et atterrissent au même point ; ils n’ont pas à se chercher, ce qui simplifie les parachutages « à l’aveugle ». Le principal avantage est la suppression des risques de blessure. Les missions sont minutieusement préparées, sur le modèle des opérations alliées : lors d'un briefing d’avant vol on discute du plan de vol, du fuel nécessaire, de la durée, de la météo, de la position de la lune … Les avions d’Olga transportent aussi du matériel de ravitaillement, des batteries, de l'argent, et des armes. Il y a l’équivalent d’un « despatcher » à bord, chargé également de plus ou moins pousser les hésitants.
Stahl raconte sa première rencontre avec un agent français destine à être parachute en capsule: "That evening for the first time I got to know the people who were prepared to work for the enemy of their own nation and risk their lives doing so". Il les trouve "inquiets" et "nerveux". Quand une mission est demandée au KG 200, Stahl envoie chercher les agents volontaires au « château ». Les hommes ramenés à l’aérodrome se préparent dans des hangars épargnés par les bombes américaines. On doit longuement leur expliquer les avantages du PAG : pas facile de convaincre quelqu’un d’être enfermé avec deux autres personnes dans un espaces si étroit, dans lequel ils ne pourront bouger que leur bras, avec pour seule lumière que leurs lampes de poche! Quid en cas d’avarie, de mauvaise météo ou de secousses violentes… Le PAG chargé pèse environ 750 kg, est accroché sous les ailes du Ju 188. Sont adjoints au système deux poches en caoutchouc remplies d’air comprimé pour un atterrissage moins brutal. Un intercom spécial est installé dans le PAG pour prévenir les hommes de l’approche du terrain et de l’imminence du largage. Stahl en évoquant son avion parle de « véhicule spécial pour espion ».


Caractéristiques : forme d'un gros obus à culot hémisphérique, camouflé ocre et vert foncé. L = 4 m 20, l = 1.10, poids 150 kgs (vide). Quatre parties principales : 1/ ogive de 1 m 20 de longueur, 2/ boîte à parachute, 3/ containeur de 2.5 m de longueur et 4/ calotte hémisphérique (r = 0.55 m).
OGIVE : Contreplaqué très mince, entoilé dehors, renforcé dedans par des bandes de feuillard et de bois dans le sens de la longueur. Reliée au corps par des goujons. Ogive tronquée finie par une plaque qui permet de la relier à l'équipage de l'avion par une corde et percée par un trou pour la corde qui commande l'ouverture des parachutes.
BOITE à Parachute : Cylindre de h = 0.20 m qui vient se loger dans l'ogive. 5 logements en toile, 1 pour le parachute central, 4 pour les latéraux.
CONTAINER : Parois double en contreplaqué, divisé intérieurement en deux parties par un plancher, 1 pour le personnel (h = 1.80 m) et 1 pour le matériel  (h = 0.60 m). Le cylindre porte sur une génératrice et en son milieu le système d'accrochage du container à l'avion.
CALOTTE : Tôle d'acier de 1mm, rivée sur le container, syst. amortisseur composé d'un boudin en caoutchouc roulé sur lui-même et peut-être composé d'air.

Ci-dessus : shéma d'un PAG (Personen Abwurf Gerät), tiré de l'ouvrage KG 200, the true story », P.W. Stahl, 1979

 

Ci-contre à droite : document tiré des archives FFI de Loire-Atlantique, visible sur le site http://bunkerleaks.canalblog.com/archives/2011/09/03/21933004.html 

Les parachutages d’agents ennemis en Rhône-Alpes 
La présence de poches de résistance encore tenues par les Allemands à l’Ouest fait craindre à la D.S.T. des infiltrations d’agents saboteurs ou de renseignement par parachutages sur l’arrière de la zone des armées. La menace se précise début décembre : le Colonel Descours, gouverneur militaire de Lyon et commandant de la XIVe région militaire, évoque, dans une note d’avertissement aux services de la Préfecture et de Police, un risque d’« actes de terrorisme » sur les installations électriques, ferroviaires, portuaires, PTT et TSF. Des arrestations et neutralisations de postes clandestins, dont une à Lyon le 11 décembre, viennent alimenter les craintes des autorités et les poussent à prendre des mesures : on s’organise, notamment dans l’ancienne région R1 -région Rhône-Alpes. Il faut récupérer les listes de terrains ayant servi à des opérations de parachutages et pouvant encore être utilisés cette fois par l’ennemi. Ces listes sont conservées par l'ex Section Atterrissage Parachutage (SAP) : cette structure est donc réactivée et reprendra son organisation départementale. Le guet sera assuré par les anciennes équipes ou organisé par le Préfet. Le carroyage des postes de guet existant durant l’Occupation se trouve quant à lui auprès des FFI ; la remise en état de ces postes sera demandée au FAFI (colonel RUBY). Des groupes mobiles armés – les Gendarmes assumeront finalement ce rôle - seront organisés non loin de ces terrains, prêts à intervenir en cas d’alerte. Les postes armés voisins seront aussi prévenus le cas échéant afin de pouvoir mettre en place des barrages. La gendarmerie dès qu’elle recevra l’avis d’un parachutage devra immédiatement alerter le service de la Surveillance du Territoire de Lyon ou le Poste détaché d’Annecy. Les maires quant à eux sont chargés de mettre en place cette organisation, en réquisitionnant des gardes parmi le personnel de la commune (garde-barrières, facteur, cantonnier…), des bénévoles pour la nuit, éventuellement choisis parmi les résistants ayant effectué des réceptions de parachutages durant l’Occupation. Mission qu’ils auront du mal à faire assurer à ces volontaires. 
Parfois l’action de ces anciens résistants de la SAP, qui sont des hommes armés, inquiète comme lors d’une réunion à Grenoble en février 1945 dans le cadre de la lutte anti-parachutage : le préfet de l’Isère se dit préoccupé par le zèle de certains de ces hommes car on lui a fait état d’arrestations excessives et de coups de feu tirés; il demande que leur statut soit précisé. Afin de prévenir toute dérive le rôle des délégués SAP passe bientôt au second plan : ce sont les gendarmes qui sont désormais à la base de la lutte anti-parachutage. Les tours de guet sont réalisés en commun et dans chaque département un comité de trois délégués est mis en place: un représentant de la Guerre, de la SAP et de l’Intérieur. Les renseignements sont immédiatement transmis aux trois organismes. En mars, le représentant SAP est remplacé par un représentant DGER (Direction Générale des Etudes et Recherches, organe de renseignement français crée en 1944). 

Des parachutages ennemis ont réellement eu lieu notamment dans notre région. Plusieurs alertes, quelques arrestations et interrogatoires entre octobre 1944 et avril 1945 mettent les autorités locales et les services de surveillance du territoire sur le pied de guerre. Une phobie s'est développée, basée certes sur des faits réels, mais dont le nombre est resté limité. Les messages émanant des autorités sont parfois contradictoires preuve de la peur panique causée par ces opérations diligentées par l’Allemagne.

11 octobre 1944 : lettre du chef de bataillon FFI Girousse au préfet de l’Ain, « informé du passage « d’isolés allemands » et de signaux lumineux émis aux alentours des montagnes de Bellegarde. Renforcement de certaines patrouilles. »

Nuit du 17 au 18 décembre 1944 : parachutage d’agents ennemis signalé sur le territoire d’Ambérieu-en-Bugey. Des barrages et des patrouilles FFI sont mis en place, seule l’autorité militaire est habilitée au suivi de ces opérations secrètes. 

18 décembre 1944 : une bombe tombe d’un avion dans le bois de « Lieudit » à Villars-les-Dombes (brigade de Villars).

20 décembre 1944 : lancement de fusée lieudit « sous la Bouche » commune d’Arbent (brigade d’Oyonnax).

Nuit du 21 au 22 décembre 1944 : le colonel Ruby est averti d’un largage de parachutistes ennemis dans la région sud de Lyon. L’aérodrome de Bron est en alerte ; le Journal de Marche et des Opérations du Groupe de Chasse I/5 Champagne (Ambérieu-en-Bugey), prévenu le 23, évoque     l’ «  une des fausses nouvelles les plus extraordinaires de la guerre ». Les hommes sont très nerveux, en panique, car ils doivent assumer eux-mêmes la défense du terrain alors qu’ils ne sont pas formés à cela. « Des compagnies de défense devaient par la suite être affectées aux escadres et assurer ce rôle de protection en liaison avec l’artillerie de l’air ». L’alerte est levée le soir-même : il s’agissait d’une rumeur ! 

22 décembre 1944 : vers 18h, la brigade de Pont-de-Vaux aperçoit une fusée rougeâtre en direction de Fleurville (Saône-et-Loire). Vers 18h10, un ballonnet en papier de 5 m de diamètre et orné d’une croix gammée atterrit à Saint-Bénigne dans l’Ain. Aucun matériel ou parachutiste n’est retrouvé. Le 23 au matin, le préfet en informe le capitaine Henri Germain, chargé de la surveillance des activités ennemies et de parachutages éventuels.

Le 23 décembre 17h30 : message du service des renseignements généraux : une centaine de parachutistes allemands auraient été lancés le matin même au nord de Lyon près de Crépieux-la-Pape. 
Il y aura une autre alerte le 24 à Lyon (JMO 1/35). 

Nuit du 23 au 24 décembre : entre minuit et 1h et alors que M. Marie-Joseph Ravier demeurant à Vienne se trouvait près du terrain d’aviation de Reventin-Vaugris, il aurait assisté à la descente d’un parachute largué à basse altitude par un avion. « L’ivrogne » vient à la gendarmerie le lendemain 25 à 9h30. Le rapport précise que ledit Ravier n’a pas prévenu tout de suite les gendarmes car il se trouvait « légèrement pris de boisson ». Des patrouilles ont été envoyées sans résultat. 

 

27 décembre 1944 : Pierre DIDIER habitant de Marsaz dans la Drôme, a vu deux fusées parties de la direction Sud-Ouest du Bois de l’Âne à Marsaz (Drôme). Cinq gardes civiques de Marsaz sont allées voir ce qu’il s’est passé. 23h : alors qu’ils longeaient la lisière sud du Bois de l’Âne une grenade est lancée et trois coups de feu sont tirés par trois individus qui s’enfuient dans le bois. Pas de blessé, les recherches n’ont pas abouti. 

30 décembre 1944 : lancement d’une fusée sur le territoire de la commune de Dortan (brigade d’Oyonnax).

7 janvier 1945 à 12h30 : un individu suspect est interpellé par deux membres des gardes civiques républicaines, Marius Gaudfroy et François Charnay, sur la route nationale en direction de Miribel. L’homme n’a pas de papier sur lui, parle mal le français et dit qu’il est anglais, et il réussit à prendre la fuite. Avec l’aide des habitants, les gardes le retrouvent alors qu’il franchit le Rhône dans une barque, lui tirent dessus et semblent le blesser. Il aborde l’Ile de la Pape. Malgré une battue et l’intervention des gendarmes, on ne le trouve pas. Ils certifient que la personne était allemande. 

26 janvier vers 23h : d’après un rapport du Cne Germain, le « groupe de surveillance des activités ennemies » de Drom (Ain) voit à l’ouest du village au sommet de la montagne près du lieudit « les Conches », des signaux lumineux en morse. La zone est habituellement déserte. Une patrouille se rend sur les lieux et ne trouve rien mis à part de la neige et du vent. Mais en direction de la Bresse, trois postes d’émission de signaux rouges situés vers le nord de Bourg sont aperçus entre Vonnas et la Chapelle de Guinchay (Saône-et-Loire). Les signaux ont duré une heure en tout. Le même jour à neuf heures, le responsable d’Hautecour (Savoie) témoigne de l’apparition dans la région de Rignat (Ain) d’une fusée blanche suspendue à un parachute. 

28 janvier 1945, soir : survol avéré de la vallée de la Saône par cinq ou six avions (des missions racontées par Stahl sur le sud de la France pouvaient être pourvues de 3 Ju 188 et 1 B-17). Ce soir-là, le Dr Berger, maire de Montmerle-sur-Saône écoute une émission en français sur Radio-Stuttgart. Il entend le message suivant, parmi les messages émis à l’attention des agents parachutés : « Allo Paris – Allo Paris, n°5 Monsieur Mascelli ». Cet homme, italien et fasciste notoire, ingénieur chimiste à Caluire, vivait dans les environs en 1944 avec Marthe Gourbeyre, femme « très suspecte d’un point de vue national ». Le couple avait disparu de la région depuis fin 44. C’est environ une heure après que ces cinq ou six avions inconnus en provenance du nord ont été entendus survoler la région pendant une demi-heure. Trajet : Villefranche – Belleville – Thoissey – Lyon – Saint-Trivier – Chatillon avant de repartir au nord. Le poste de garde de Montmerle observe une lumière blanche entre St-Georges-de-Reneins et St-Etienne-les-Ollières au moment où ces avions passent. Le message de radio-Stuttgart semble être celui d’un parachutage. Patrouilles et barrages mis en place dans l’Ain mais le largage semble avoir eu lieu dans le Rhône. Une note de la préfecture de l’Ain du 31 janvier préconise la coordination Ain / Rhône pour une meilleure surveillance des activités ennemies. 

Nuit du 1er au 2 février 1945 : à 9h15, un meunier sur la route de Frontonas à la Verpillère a été arrêté par trois hommes armés ; il dit avoir vu un avion volant à très basse altitude lâcher trois fusils. Le meunier poursuivit son chemin et a téléphoné aux gendarmes de la Verpillère dès son arrivée. Malgré les barrages de la SAP et de la prévôté, les recherches n’ont rien donné. L’enquête menée par la SAP de Lyon dans la nuit a révélé des feux de balisage encore fumant, des traces de roues de voiture juste à côté. La conclusion du document est qu’une opération de parachutage a eu lieu et qu’un comité de réception les attendait. 

22 au 23 février 1945 : À Dieulefit, un jeune berger a trouvé le cadavre d’un homme attaché à son parachute, qui ne se serait pas ouvert. L’homme portait sur lui de l’argent français, espagnol et suisse ainsi qu’une carte d’identité de cultivateur. 

25 février 1945 : deux Français partis de la Rochelle à bord d’un avion allemand sont parachutés vers 1h30 entre Cruzilles-lès-Mépillat et Laiz. Les parachutes sont retrouvés sur place. L’un se présente à la gendarmerie de Pont-de-Veyle vers 2h30 avec de faux papiers d’identité. L’autre est arrêté par la brigade de gendarmerie de Thoissey vers 8h30. Le premier s’appelle Eugène Marius Ballofier, né le 30 septembre 1919 à Lyon 2e et le second Robert Francheville, 24 ans, habite à Paris 10e, 181, rue Lafayette, né le 11 septembre 1920 à Neuilly-sur-Seine. Ils prétendent ne pas se connaître et portent chacun avec eux un poste TSF émetteur-récepteur, une grosse somme d’argent et des monnaies françaises, anglaises et américaines. Ils menaient une mission de renseignement et devaient se retrouver à l’Hôtel du Lyon d’or à Trévoux. Francheville devait se rendre à Trévoux chez M. Padis, capitaine de chasseurs alpins au 63, cours Gambetta. Tous deux avaient eu un stage de formation à Dresde et Stuttgart avant d’être transférés à la Rochelle peu après. Les individus sont emmenés à Lyon dans les locaux du service régional de dépistage des activités ennemies. 

17 mars 1945 : vers 20h30, un avion vole haut au-dessus de Bourg et trois fusées vertes partant du sol sont aperçues par un gendarme de la brigade de Ceyzériat. Trois autres fusées vertes et rouges lancées au-dessus de la forêt de Seillon à quelques kilomètres au sud-ouest sont vues par le poste de guet de Ceyzériat. Mais l’avion volait trop haut pour effectuer un parachutage ; il venait du nord. 

Nuit du 1er avril vers 2h : parachutage en Haute-Savoie, région de Challonges près de Seyssel, au barrage sur les ponts reliant la Haute-Savoie à l’Ain. Un homme est intercepté vers 6h pont de Seyssel. Alors qu’il est fouillé -d’importantes sommes d’argent sont trouvées sur lui-, la gendarmerie de Seyssel met la main sur du matériel parachuté. Il avoue ensuite avoir sauté d'un avion venant directement d’Allemagne. Cinq autres hommes se seraient trouvés avec lui et auraient été parachutés dans d’autres lieux. Tous des français : lui se nomme Jacques Paul Louis Michel né le 13 août 1923 à Paris 14e, célibataire classe 43 et réformé des chantiers de jeunesse. Il est interrogé à Annecy au Bureau de la Sûreté. 
PV d’arrestation du dénommé MICHEL, parachuté le 1er avril 1945, section de Belley: détail de la fouille. On trouve sur lui un petit tube contenant du poison. Étudiant, demeure à Nice 19, rue de Rivoli, fils de Albert et de Berthe Palais. « Je suis parti d’Allemagne dans la région de Wurzbourg avec cinq autres hommes devant être également parachutés, et je suis le seul à avoir sauté dans la région de Challonges ». Il connaît bien la région, son oncle M. Faurrat est ingénieur-chimiste et demeure à Lyon, 50 cours Vitton. La fausse carte d’identité lui a été délivrée par les Allemands avant son départ, sa mission était de        « fournir des renseignements militaires sur les mouvements de troupes anglo-américaines dans la région de Lyon, ainsi que sur la base aérienne de Bron ». Il dit avoir quitté la France en août avec un convoi de l’organisation Todt et ce alors qu’il appartenait à la milice comme franc-garde et avant au PPF à Nice. Son oncle a une maison à Passy en Haute-Savoie où il pensait le trouver. Il était fiché comme milicien en fuite fiche n°G45/2157. 

Durant toute cette période, on note de l’existence d’un maquis blanc dans le Forez sur le territoire de la commune de Chambles -existence rapportée par un résistant dans son journal.

Fin de partie pour les Vichystes 
La Collaboration en exil, aux abois croyait-elle réellement en la possibilité de succès de son entreprise ? Fuite et actions qui ressemblent à du désespoir conduisent à l’échec de l’opération maquis blanc. L’Allemagne et ses séides ne sont plus en moyen d’élaborer une stratégie en profondeur tant la logistique et les ressources humaines manquent. Plus que tout, la base idéologique et politique, discréditée et confuse, se voit remplacée par des initiatives issues de groupuscules aux buts divergents voire antagonistes.
La plupart du temps les missions se soldent par un échec ; les résultats ne sont pas à la hauteur de l’organisation, des moyens et des efforts déployés par les Allemands pour reprendre le terrain perdu, avec la mise en place d’opérations spéciales ressemblant à celles des Alliés durant l’Occupation. Le but apparait disproportionné au regard des moyens disponibles.
Fin février 1945, les Américains encerclent Stuttgart et la 1ère Armée française, commandée par le Général de Lattre de Tassigny, avance vers le Lac de Constance. À Sigmaringen c’est la panique devant l’avancée alliée. Ils sont nombreux à se rassembler à Innsbruck avant de partir pour l’Italie du Nord puis comme Laval début mai, en Espagne. 

 

N&JF KAUFFMANN / Lyon / Février 2022

 

 

Bibliographie
Voir le livre « Maquis Blanc, la résistance des collabos 1944-1945 » Olivier Pigoreau, parution prévue le 24/02/2022, éd Konfident 
KG 200, the true story », P.W. Stahl, 1979 (traduction de “Geheim Geschwader, KG 200 – Die Wahrheit nach über 30 Jahren” – Motorbuch, Stuttgart, 1977)
Aérojournal n°41, « Kampfgeschwader 200, 1ère partie l’escadre secrete du IIIe Reich », C-J. Ehrengardt, 2014 
“KG 200 The Luftwaffe’s most secret unit”, Geoffrey J. Thomas, Barry Ketley, Hikoki Publications, 2003

Sources
Ain, cote 778 W 492 - Échanges avec le cabinet du préfet de l’Ain
Rhône, cote 283 W 125 / décembre 44 à mars 45

Webographie
http://bunkerleaks.canalblog.com/archives/2011/09/03/21933004.html (croquis de container utilisé par les Allemands à la fin de la guerre)